Mouammar Kadhafi a prononcé un discours fleuve à la télévision officielle libyenne. Cette même télévision a démenti les informations sur des "massacres" contre les manifestants anti-régime, dénonçant "mensonges et rumeurs". Les étrangers se terrent chez eux ou fuient le pays.
Apparaissant à l'antenne sur fond de ruines d'une attaque américaine de 1986, et adoptant la posture d'un "chef de tribu", Mouammar Kadhafi a annoncé mardi qu'il resterait en Libye "en chef de la révolution", faisant valoir qu'il n'avait pas un poste officiel pour en démissionner. "Mouammar Kadhafi n'a pas de poste officiel pour qu'il en démissionne. Mouammar Kadhafi est le chef de la révolution, synonyme de sacrifices jusqu'à la fin des jours. C'est mon pays, celui de mes parents et des ancêtres", a-t-il dit en guise de rejet des appels à son départ du pouvoir.
Intimant l'ordre à l'armée -dont plusieurs unités semblent pourtant avoir fait défection- et à la police de rétablir l'ordre. Il a accusé les manifestants -qualifiés de "rats" et de "mercenaires"- de vouloir faire de la Lybie un "nouvel Afghanistan" et a menacé les manifestants armés de la peine de mort. Il a notamment menacé de "purger le pays maison par maison" pour mater la révolte.
Rejoignant les démentis officiels quant à la répression des manifestations, il a affirmé ne pas avoir eu recours à la force, mais a précisé qu'il y recourrait si nécessaire. Semblant faire implicitement référence aux troupes qui ont fait défection et qui contrôlent certaines zones du territoire, il menace les rebelles d'une riposte "similaire à Tienanmen et Falloujah".
Sur un ton proche de l'imprécation, semblant parfois chercher son inspiration, il a appelé ses partisans à manifester mercredi pour le soutenir.
Maniant la carotte et le bâton, le leader libyen avance une série de réformes, soulignant notamment que les Libyens peuvent avoir "la constitution de leur choix"; et il annonce la création de nouveaux comités populaires ainsi qu'une meilleure distribution des revenus du pétrole.
Nouvelle défection au sein du gouvernement
Son discours ne semble pas avoir fait mouche. Après la démission du ministre de la Justice lundi, c'est le ministre de l'Intérieur Abdel Fattah Younès al Abidi qui a annoncé son ralliement à la "Révolution du 17 février" selon la chaîne de télévision Al Jazeera. Le ministre de l'Intérieur a exhorté l'armée à répondre aux "exigences légitimes" du peuple libyen en passant dans son camp.
Rumeurs ou vérité
"Ils disent qu'il y a des massacres dans plusieurs villes, villages et quartiers en Libye. Nous devons lutter contre ces rumeurs et mensonges qui font partie d'une guerre psychologique", est-il écrit sur un bandeau rouge qui passe sur la télévision Al-Jamahiriya. Ces informations "visent à détruire votre moral, votre stabilité et vos richesses", affirme la télévision d'Etat.
Des témoins de la capitale libyenne avaient fait état de "massacres" dans certains quartiers de Tripoli, après l'annonce par la télévision officielle que les forces de sécurité prenaient d'assaut "les nids de saboteurs".
Témoignages
Lundi soir, des témoins contactés par l'AFP ont fait état de violents affrontements dans les quartiers de Fachloum et Tajoura, dans la banlieue Est de Tripoli, parlant de "massacres" de manifestants anti-régime et de mercenaires africains déposés par hélicoptères qui ont tiré sur les passants.
La situation était calme mardi matin dans plusieurs quartiers de la capitale, dont Tajoura, selon des témoins joints par l'AFP.
Toutefois, selon des témoignages recueillis par la présidente de la Fédération internationale des Ligues de droits de l'Homme (FIDH) Souhayr Belhassen, les violences se poursuivaient dans la matinée à Tripoli.
"Les milices, les forces de sécurité fidèles à Kadhafi sévissent de façon terrible, cassent les portes, pillent", a-t-elle indiqué à l'AFP, citant des informations communiquées par la Ligue libyenne des droits de l'Homme.
"Il est impossible de retirer les corps dans les rues, on se fait tirer dessus", a-t-elle rapporté.
A Tripoli, touché par les violences depuis dimanche, beaucoup d'étrangers restaient confinés chez eux.
"Je suis enfermé à la maison depuis cet après-midi. (...) C'est trop dangereux", a expliqué un employé sud-américain d'une société européenne vivant à Tripoli contacté par l'AFP lundi soir.
Ceux qui peuvent partir affluent à l'aéroport de Tripoli.
"L'aéroport est plein à craquer. C'est la pagaille", a indiqué mardi à l'AFP un ingénieur tunisien qui compte rentrer avec sa famille.
Des mercenaires africains engagés par Kadhafi ?
Des mercenaires africains à la solde de Mouammar Kadhafi sont impliqués dans les violences en Libye, patrouillant dans les rues et tirant sur ceux qui tentent de sortir, ont dénoncé mardi des exilés libyens en Suède, citant leurs proches sur place.
"Ce sont des mercenaires africains achetés par Kadhafi. Ils viennent du Tchad, du Nigeria, entre autres. Beaucoup de soldats libyens ont pris le parti des manifestants. Mais ceux qui tirent sont les soldats d'élite et les mercenaires", assure à l'AFP Shaban Egale, 50 ans.
Après une journée de communications coupées lundi, plusieurs autres Libyens exilés en Suède ont expliqué avoir été informés mardi par leurs proches de la présence de mercenaires participant à la répression.
Les rapatriements se multiplient
Des Tunisiens redoutant d'être dans la ligne de mire du régime de Tripoli continuaient mardi de quitter le chaos libyen pour regagner leur pays tandis qu'à Tunis, des centaines de manifestants réclamaient le départ du président libyen Mouammar Kadhafi.
A leur retour lundi, la plupart ont témoigné à l'AFP de leur soulagement d'être rentrés, faisant état d'actes hostiles envers eux en Libye. Environ 50 000 Tunisiens y vivaient avant le début des violences.
"Aujourd'hui, plus de mille personnes, des Tunisiens mais aussi des Libyens sont arrivés en Tunisie par le principal poste-frontalier de Ras-Jdir", a indiqué à l'AFP un responsable syndical, Houcine Betaieb, membre de l'Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT), contacté depuis Tunis.
Une grande tente a été déployée pour les accueillir et des boissons ainsi que de la nourriture leur ont été distribués, a-t-il ajouté, soulignant que l'armée tunisienne était sur les lieux pour les aider.
Selon l'agence officielle TAP, 600 Tunisiens sont rentrés lundi soir par voie terrestre de Dhiba, au sud-est de Tataouine, dans le sud tunisien, et ont été pris en charge par les compagnies de transport tunisiennes.
La compagnie nationale Tunis Air attendait toujours mardi en début d'après-midi le feu vert des autorités de Tripoli pour poursuivre le rapatriement des Tunisiens cherchant à quitter la Libye, a déclaré à l'AFP une responsable de la compagnie.
"Deux avions à destination de Sebha et cinq autres à destination de Tripoli sont prévus aujourd'hui", a précisé Soulasa Mukaddam, précisant que la capacité totale de ces avions était de 1175 places.
Une centaine d'Italiens, se trouvant à Benghazi, attendent également leur rapatriement. Un C-130 est prêt à partir d'Italie.
"Un avion militaire va partir dans quelques heures mais nous ne savons pas encore où il se posera car cela dépendra de la situation", a déclaré le ministre italien des Affaires étrangères.
La France a également décidé l'envoi de trois avions militaires à Tripoli pour rapatrier de Libye les Français dont la présence dans le pays "n'est pas indispensable".
Aux Pays-Bas, le ministère de la Défense a aussi annoncé l'envoi d'un avion militaire à Tripoli pour évacuer les ressortissants néerlandais, en raison des émeutes qui secouent le pays.
L'Egypte, elle, déclaré avoir des difficultés pour rapatrier ses ressortissants. Ils sont environ 1,5 million en Libye.
Dans la nuit de lundi à mardi, 114 personnes ont été évacuées de Tripoli par avion militaire portugais vers une base militaire de l'Otan en Italie. Selon une source gouvernementale, 80 Portugais et 34 étrangers se trouvaient à son bord. Le Portugal poursuivait ses évacuations ce mardi.
L'aéroport de Benghazi inaccessible
"Les pistes de l'aéroport de Benghazi ont été bombardées", a dit le ministre égyptien des Affaires étrangères sans donner plus de de précision, à l'issue d'un entretien avec la chef de la diplomatie européenne Catherine Ashton en visite en Egypte.
Cette situation a rendu "impossible l'atterrissage des avions d'EgyptAir" sur cet aéroport, a-t-il ajouté, conseillant aux Egyptiens de "rester chez eux pour éviter les dangers de 500 km de routes avant d'arriver à la frontière".
Deux avions militaires égyptiens qui ont décollé mardi pour Tripoli afin de rapatrier les ressortissants souhaitant quitter le pays ont été autorisés par les autorités libyennes à atterrir, a-t-il encore dit.
Au total quatre avions militaires et quatre autres avions d'EgyptAir doivent se rendre en Libye à des fins de rapatriement, a-t-il indiqué.
L'armée égyptienne renforce sa présence à la frontière avec la Libye
L'armée égyptienne a renforcé sa présence à la frontière avec la Libye pour assurer notamment le passage des ressortissants égyptiens fuyant le pays en proie aux violences, a indiqué à l'AFP une source sécuritaire.
"L'armée a envoyé des unités supplémentaires pour assurer la sécurité de sa frontière nord avec la Libye au point de passage de Saloum, et permettre aux ressortissants égyptiens fuyant la Libye de rentrer dans leur pays en toute sécurité", a ajouté cette source.
Quelque 10 000 Egyptiens sont actuellement en attente près de cette localité frontalière, et cinq mille sont déjà arrivés lundi, selon elle. Deux avions militaires égyptiens ont décollé mardi pour Tripoli afin de faciliter l'évacuation des ressortissants souhaitant quitter le pays, a encore dit cette source mardi.
Un hôpital de campagne a par ailleurs été installé à Saloum pour accueillir d'éventuels blessés ou malades, a-t-elle indiqué. L'Egypte compte un très grand nombre de travailleurs en Libye, actuellement en proie à des violences meurtrières, les premières du genre depuis l'arrivée au pouvoir du colonel Kadhafi en 1969.
Un bilan incertain
Le bilan de la répression en Libye se compte désormais en centaines de morts: Human Rights Watch avance le chiffre de 233 morts, tandis que la Fédération internationale des droits de l'Homme (FIDH) a fait état de 300 à 400 morts.
Le bilan de la répression en Libye se compte désormais en centaines de morts: Human Rights Watch avance le chiffre de 233 morts, tandis que la Fédération internationale des droits de l'Homme (FIDH) a fait état de 300 à 400 morts.
Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a indiqué avoir reçu des "appels de détresse" et contacté les autorités libyennes à Genève pour proposer de l'aide humanitaire d'urgence.
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