mercredi 23 février 2011

Libye : l'est du pays aux mains des insurgés


Des soldats rejoignent le mouvement de contestation. Des défections touchent aussi l'entourage de Mouammar Kadhafi. L'Union européenne a réitéré sa condamnation de la répression brutale et se dit prête à prendre des sanctions. 

Ce mercredi après-midi, l'équipage d'un avion militaire libyen s'est éjecté après avoir refusé de bombarder la ville de Benghazi, rapporte le journal libyen Kourina sur la foi d'une source militaire. L'appareil, un Sukhoï 17, un avion d'attaque au sol de fabrication soviétique qui avait décollé de Tripoli, s'est écrasé au sol à 160 kilomètres de la ville.

Dans l'est du pays, dans la Cyrénaïque, des insurgés, souvent armés, contrôleraient la région qui s'étend de la frontière égyptienne jusqu'à Ajdabiya plus à l'ouest, en passant par Tobrouk et Benghazi, selon des témoignages recueillis par l'AFP. Des soldats exprimaient leur soutien à la rébellion, selon les habitants, bien que le régime affirme contrôler la région. 

Des représentants de la Libye, à l'Onu, Paris et dans d'autres capitales, ont aussi condamné l'attitude de Mouammar Kadhafi.  D'autres proches de numéro 1 libyen ont fait défection, comme le ministre de l'Intérieur, Abdel Fattah Younes al Abidi, et un haut conseiller de Saïf al Islam Kadhafi, l'un des fils du colonel.

La chaîne britannique Sky News a montré une base militaire abandonnée près de Tobrouk, à une centaine de kilomètres de la frontière égyptienne.

La ville de Benghazi est en effervescence : cris de joie, explosions de pétards et coups de klaxons accompagnent des drapeaux tricolores (rouge-vert-noir) datant du roi Idriss renversé en 1969 par Mouammar Kadhafi.

La province de Cyrénaïque "n'est plus sous le contrôle du gouvernement libyen, et des affrontements et violences sont en cours dans tout le pays", dit aussi Franco Frattini, le ministre des Affaires étrangères italien.

Une répression meurtrière

Un mouvement de contestation sans précédent contre le régime de Mouammar Kadhafi, au pouvoir depuis 42 ans, a débuté le 15 février. Selon les autorités libyennes, il a fait 300 morts.

Mais selon la Fédération internationale des droits de l'homme, le bilan est beaucoup plus lourd: 640 morts dont 275 à Tripoli et 230 à Benghazi, soit plus du double que le bilan officiel. Ce bilan s'appuie sur des sources militaires pour Tripoli et sur des recoupements effectués par la Ligue libyenne des droits de l'Homme pour Benghazi et plusieurs autres localités. Il ne tient pas compte d'éventuelles victimes dans la ville de Tobrouk, pour laquelle la FIDH ne dispose pas d'informations précises.

A Benghazi, deuxième ville du pays et bastion de l'opposition, la FIDH a comptabilisé 230 morts, "dont 130 militaires qui ont été exécutés par leurs propres officiers, parce qu'ils n'ont pas voulu tirer sur la foule" des manifestants.

Et le ministre italien des Affaires étrangères Franco Frattini d'évoquer le chiffre de 1000 morts.
L'Union européenne prête à prendre des sanctions

Le président de l'Union européenne, Herman Van Rompuy, a vigoureusement condamné mercredi à Prague les violences "horribles" perpétrées par les forces libyennes contre les manifestants, soulignant que ces crimes ne peuvent "pas rester sans conséquences".

Le président français Nicolas Sarkozy avait demandé "l'adoption rapide de sanctions concrètes" de la part de l'UE, contre les responsables de la répression en Libye. La question des sanctions contre la Libye risquait de diviser les 27. L'Italie, l'ancienne puissance coloniale qui a des liens économiques étroits avec la
 
Libye, y était jusqu'à présent opposée mais elle pourrait changer d'avis au vu des derniers événements.

Les pays de l'UE se sont dits mercredi "prêts" à prendre des sanctions contre la Libye et ont chargé leurs experts d'examiner un embargo sur les armes, des gels d'avoirs, des interdictions de visa et la possibilité de poursuites contre des dirigeants, selon des diplomates. Dans une déclaration négociée par les ambassadeurs de l'Union européenne à Bruxelles, les 27 se disent "prêts à prendre des mesures supplémentaires" à l'encontre de la Libye en raison de la violente répression du mouvement de contestation contre Mouammar Kadhafi, selon un diplomate européen. "Les mesures supplémentaires signifient sanctions en langage diplomatique", a précisé un autre diplomate.

Parmi les sanctions envisagées figurent "un embargo sur les armes, l'interdiction d'accès au territoire de l'Union et la surveillance des mouvements financiers" de dirigeants libyens, ainsi que "la possibilité de les traduire en justice", a-t-il ajouté.

Appel au dialogue

Par la voix de sa porte-parole, la Haute représentante pour la politique étrangère de l'Union Catherine Ashton a appelé le dirigeant libyen au dialogue avec l'opposition. "Il faut qu'un dialogue intervienne, c'est la seule manière d'éviter d'autres victimes", a déclaré la porte-parole, estimant que "les Libyens sont les principaux responsables de leur propre destin".

Pressée de préciser la position de l'Union sur la légitimité de Mouammar Kadhafi, la porte-parole s'est gardée de la remettre en question directement, contrastant avec les déclarations du président du Parlement européen, Jerzy Buzek. Ce dernier a estimé que le dirigeant libyen avait "perdu toute crédibilité". La porte-parole de Catherine Ashton s'est quant à elle limitée à constater mercredi que le colonel Kadhafi restait de facto "responsable" de la situation en Libye.

Depuis le début des crises au sud de la Méditerranée, l'UE n'a pas condamné nommément les leaders contestés avant leur renversement. Face aux violences en Libye, plusieurs sanctions sont néanmoins envisagées. Catherine Ashton a déjà annoncé la suspension de négociations avec la Libye sur la conclusion d'un accord-cadre.

Le Conseil des droits de l'homme va tenir une session spéciale

Le Conseil des droits de l'homme de l'ONU tiendra vendredi une session spéciale sur la situation en Libye, à la demande de l'Union européenne, a indiqué mercredi un responsable du Haut commissariat des Nations unies pour les droits de l'homme.

"Nous avons reçu la demande de session spéciale ce matin (mercredi), déposée par l'UE", a déclaré Alessandro Marra, du Haut commissariat, interrogé par l'AFP. "Il y a 47 Etats qui soutiennent la demande, tous ne sont pas membres du Conseil des droits de l'homme", a-t-il précisé.

Après d'intenses discussions qui ont duré plusieurs heures mardi, les pays ont finalement réussi à se mettre d'accord dans la nuit de mardi à mercredi, selon une source diplomatique occidentale.
Le Conseil des droits de l'homme se réunit rarement en sessions extraordinaires. Celles-ci aboutissent en général à l'adoption d'une résolution commune, comme cela avait été le cas fin décembre concernant la Côte d'Ivoire.

L'UE envoie des experts humanitaires en Tunisie et Egypte

La Commission européenne a décidé d'envoyer des experts humanitaires afin d'estimer les besoins des milliers de Libyens qui fuient leur pays vers la Tunisie et l'Egypte, a indiqué un porte-parole.

Des experts seront envoyés sous peu dans les deux pays, la frontière avec la Libye. La Commission envisage aussi l'envoi d'un expert à Tripoli, capitale de la Libye, à condition que les conditions de sécurité le permettent.
Le spectre d'Al-Qaida

Le vice-ministre libyen aux Affaires étrangères, Khaled Kaïm, a affirmé mercredi qu'Al-Qaïda avait établi un émirat islamique à Derna (est), dirigé par un ancien détenu de Guantanamo, au cours d'une réunion avec les ambassadeurs des pays de l'Union européenne. "Al-Qaïda a établi un émirat à Derna, dirigé par Abdelkarim Al-Hasadi, un ancien détenu (du centre de détention américain) de Guantanamo", a déclaré Khaled Kaïm, affirmant qu'Al-Qaïda envisageait un scénario "à la taliban" en Libye.

Il a précisé qu'Abdelkarim Al-Hasadi avait un "adjoint" établi à Al-Baïda, "membre aussi d'Al-Qaïda et qui s'appelle Kheirallah Barâassi". "Maintenant, ils disposent d'une radio FM et commencent à imposer la Burqa", a-t-il affirmé, ajoutant que ces islamistes avaient "exécuté des personnes parce qu'elles refusaient de coopérer".

Des habitants de Derna ont déclaré à des journalistes sur place que ces propos sur l'instauration d'un émirat dans la ville étaient faux, même s'il y avait une présence islamiste. Selon un habitant, les allégations sur une présence d'Al-Qaïda "visent à faire peur à l'Europe". D'autres affirment que la région est connue pour sa ferveur religieuse et que les rumeurs sur l'établissement d'un émirat sont diffusées depuis mardi par la radio publique.

Le vice-ministre met aussi la presse en garde: Khaled Kaïm, a déclaré que les journalistes entrés illégalement en Libye étaient considérés "comme s'ils collaboraient avec Al-Qaïda" et "comme des hors-la-loi". "Il y a des journalistes qui sont entrés illégalement et nous les considérons désormais comme s'ils collaboraient avec Al-Qaïda et comme des hors-la-loi, et nous ne sommes pas responsables de leur sécurité. Et s'ils ne se livrent pas aux autorités, ils seront arrêtés", a-t-il dit à des journalistes. "Nous avons permis à trois équipes de CNN, d'Al-Arabiya et de BBC Arabic d'entrer en Libye. Un correspondant de CNN qui est entré illégalement doit rejoindre son équipe, sinon il va être arrêté", a-t-il ajouté sans autre précision.

Le pétrole flambe

A Londres, le prix du baril de Brent a dépassé les 110 dollars, un niveau plus atteint depuis début septembre 2008, le marché redoutant des problèmes d'approvisionnement d'or noir.

Selon les calculs de Reuters, un quart de la production libyenne de pétrole a été suspendue, conséquence de l'abandon et du pillage des installations pétrolières du troisième producteur d'Afrique. 
 
 
 
 
 

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