jeudi 10 février 2011

Face à la rue, le pouvoir égyptien perd patience

Le vice-président Souleiman évoque le risque d'un coup d'État ou d'un passage en force.


Des manifestants campaient au pied des chars de l'armée, sur la place Tahrir, mercredi au Caire.

Le pouvoir s'impatiente. Le vice-président égyptien, Omar Souleiman, continue de rejeter l'idée d'un départ immédiat de Moubarak, qui doit rester selon lui aux affaires pour mener à bien la transition. Et il a prévenu que la manifestation permanente installée sur la place Tahrir «ne pourrait pas être tolérée très longtemps». 

«Cette crise doit prendre fin le plus tôt possible», a-t-il dit à un groupe de rédacteurs en chef égyptiens représentant les principaux journaux du pays. Dans une menace à peine voilée, Souleiman a aussi mis en garde contre «un coup», le terme arabe utilisé signifiant aussi bien un coup d'État qu'un coup de force contre le mouvement de contestation, si le dialogue engagé avec l'opposition n'aboutissait pas. «Ce qui signifierait, a-t-il ajouté dans un langage alambiqué, des développements imprévus et précipités, comprenant des irrationalités.» 

L'ancien maître espion, propulsé sur le devant de la scène politique égyptienne voici dix jours, ne semble pas décidé à céder plus que ce que le régime a déjà consenti. Reprenant son thème favori du complot étranger, Souleiman a aussi averti que le régime ne «tolérerait» pas d'appels à la désobéissance civile, «extrêmement dangereux pour la société». 

Le principal problème du régime égyptien est que la contestation ne donne aucun signe de faiblesse. Les négociations n'ont jusqu'à présent mené nulle part, les manifestants réclamant toujours la démission de Moubarak, ce que continue de refuser le régime. L'affluence sur la place Tahrir ne diminue pas, bien au contraire. Le rassemblement de mardi était le plus important depuis le début de la crise, et il n'avait guère faibli mercredi. Pis, les contestataires se sont installés depuis mercredi devant le Parlement et le siège du gouvernement, obligeant le Conseil des ministres à se réunir dans un autre lieu après avoir monté leurs tentes devant les chars qui protègent ces bâtiments. Un nouvel appel à une manifestation géante a été lancé pour demain sur la place Tahrir. Les contestataires envisagent même de marcher contre l'immeuble de la radio et télévision, situé non loin de la place, sous la garde d'un important dispositif militaire.

Des nouvelles inquiétantes faisaient aussi état de troubles en province. Entre un et trois manifestants auraient été tués par balles par la police dans le gouvernorat de la Nouvelle Vallée, en Haute-Égypte, et des affrontements auraient aussi eu lieu dans plusieurs villes du pays, notamment à Suez et à Assiout. Le temps, qui semblait jouer en début de semaine en faveur du régime, paraît à présent du côté des manifestants. Au fil des jours, la contestation se développe et s'organise dans le «laboratoire de sciences politiques» improvisé sur la place Tahrir, et les revendications des manifestants deviennent plus structurées. On commence à évoquer une nouvelle Constitution. Le départ de Moubarak peut sans doute encore permettre de désamorcer le mouvement, mais il n'est pas certain qu'il soit suffisant la semaine prochaine.

Encombrant Moubarak


Les autorités égyptiennes se doivent donc d'agir. Mais les options dont dispose à présent Omar Souleiman, qui apparaît presque tous les jours à la télévision et incarne dans les faits le nouveau pouvoir égyptien, sont limitées. Depuis le début de la contestation, voici plus de trois semaines, le régime d'Hosni Moubarak a utilisé tous les moyens pour réprimer le mouvement, en vain jusqu'à présent. La police antiémeute s'est débandée devant les manifestants. L'armée déployée dans Le Caire a refusé de tirer sur la foule. La contre-manifestation orchestrée par le régime a été repoussée à coups de pierres. La propagande présentant les contestataires comme des agents de l'étranger n'est prise au sérieux que par les nervis du régime, devenant un sujet de plaisanteries sur la place Tahrir. C'est encore plus vrai depuis l'émouvant témoignage du cybermilitant Wael Ghonim, qui a éclaté en sanglots à la télévision en évoquant les victimes de la répression, se présentant comme un patriote.

La dernière méthode en date, tablant sur un essoufflement du mouvement, tourne depuis mardi au fiasco. L'instauration de la loi martiale ne risque pas d'émouvoir dans un pays qui vit depuis trente ans sous l'état d'urgence. Si un nouveau recours à la force n'est pas à exclure, il continue à présenter des risques importants pour un régime qui a joué jusqu'à présent la carte d'une relative retenue.

Reste l'hypothèse d'une mise à la retraite de Moubarak, comme dernier moyen de calmer la contestation. Mais, à supposer que cette carte reste valide, elle doit être jouée vite. La Maison-Blanche a estimé mercredi que la poursuite de la mobilisation populaire en Égypte montrait que les réformes politiques n'avaient jusqu'ici pas été suffisantes.


Adrien JAULMES





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