jeudi 2 février 2012

Egypte: les pro-Moubarak accusés du drame

Les Frères musulmans ont accusé les partisans du président déchu, Hosni Moubarak, d'être responsables des violences en Egypte mercredi soir. "Les événements de Port-Saïd ont été planifiés et sont un message des partisans de l'ancien régime", a affirmé le député Essam al-Erian dans un communiqué publié sur le site internet du Parti de la liberté et de la justice (PLJ).

 

 Les Frères musulmans ont accusé les partisans du président déchu Hosni Moubarak d'être responsables des violences qui ont fait au moins 73 morts et des centaines de blessés mercredi soir au stade de Port-Saïd (nord). "Les événements de Port-Saïd ont été planifiés et sont un message des partisans de l'ancien régime", a affirmé le député Essam al-Erian dans un communiqué publié sur le site internet du Parti de la liberté et de la justice (PLJ), la formation politique de la confrérie.


"Où est la sécurité? Où est le gouvernement?"

Selon les témoins, des banderoles insultantes avaient été déployées par cette dernière durant la seconde partie du match. Sur France Inter ce jeudi, Claude Guibal, ancienne correspondante de la radio au Caire, a expliqué que ce n'était cependant pas une nouveauté. Une enquête a été ouverte. Elle attire l'attention sur la tension qui domine l'Egypte actuellement, où le peuple demande le départ des militaires au pouvoir. Interrogé par téléphone en direct à la télévision, Albadri Farghali, représentant de Port-Saïd au Parlement, a hurlé son mécontentement: "Le chef du régime est tombé mais tous ses hommes sont toujours en place. Où est la sécurité ? Où est le gouvernement?". Les personnes présentes ont remarqué le peu de forces de police présentes autour du stade et leur manque de réactivité.


Une vengeance contre les Ultras égyptiens?

Des doutes sur l'origine de l'affrontement ont en effet été rapidement exprimés après le drame. Une manœuvre du gouvernement pour punir les supporters Ultras d'Al-Ahly a été dénoncée. Apolitiques mais traditionnellement anti-Moubarak, ils ont largement pris part à la révolution égyptienne. II y a tout juste un an, le 2 février, les partisans de Moubarak avaient pris d'assaut la place Tahrir à dos de dromadaires et de chevaux. Une riposte avait été menée par les Ultras. Dernièrement, ils avaient inscrit des graffitis hostiles au pouvoir sur les murs du Caire.


"Maintenir l'état d'urgence"


D'autres y voient une stratégie du gouvernement pour empêcher la levée de l'état d'urgence. Al Masry al-Youm, journal égyptien, relaye les doutes de Ziad El-Elaimy, responsable du Parti social-démocrate: "Ce qui vient de se passer n'est pas une coïncidence. Ce massacre et trois vols à main armée sont survenus un jour seulement après que le ministre de l'Intérieur est venu au Parlement pour tenter de nous convaincre de l'importance de maintenir l'état d'urgence". Al Masry al-Youm souligne que la télévision égyptienne a diffusé des images d'affrontements similaires survenus au même moment au stade du Caire entre l'équipe très populaire de Zamalek et celle d'Ismaïlia. A l'annonce du drame de Port-Saïd, Hassan Shehata, le coach de Zamalek, a décidé de ne pas continuer le match après la mi-temps. Pour manifester leur désaccord avec cet arrêt, certains supporters ont mis le feu au stade. 

 

Egypte: "un drame qui pose la question de l'insécurité"

Le bilan de 74 morts à Port-Saïd en fait l'un des matches les plus meurtriers de l'histoire du football.

Les violences après un match de football entre deux équipes égyptiennes à Port-Saïd, ont fait a moins 74 morts, mercredi soir. Ce drame met en relief le difficile rééquilibrage des frelations entre la police et les forces armées, explique Sophie Pommier, enseignante à Sciences Po Paris et spécialiste de l'Egypte. 

Comment expliquer les événements de Port-Saïd ?

Il est encore trop tôt pour savoir ce qu'il s'est vraiment passé dans le stade de Port Saïd, quelle est la part de d'incompétence des forces de sécurité ou de provocation. On peut néanmoins relever que ce n'est pas la première fois que des supporters de clubs de football (les " Ultras ") font parler d'eux. Même si elles ne sont pas l'apanage des Egyptiens, les violences entre clubs de supporters, en marge des matchs, se sont développées à partir du milieu des années 2000 en Egypte. Il y a régulièrement des débordements : on se rappelle les affrontements égypto-algériens fin 2009. Le comportement des supporters de Al-Ahali (une des deux grandes équipes du Caire, présente hier sur le terrain) avait été dénoncé à l'automne, lors d'un match contre un club de Haute-Egypte. Ils avaient également été mis en cause dans la mise à sac de l'ambassade d'Israël au Caire en septembre dernier. Mais leurs représentants avaient, alors, désavoué les casseurs.   

Les Ultras ont toujours été prompts à faire le coup de poing avec les forces de sécurité. Ils ont d'ailleurs été très actifs - dans une logique de confrontation avec la police - lors des affrontements entre jeunes et forces de l'ordre au début de la révolution de la place Tahrir.   

"Ce n'était pas du football, c'était la guerre"


La recrudescence des violences ne touche pas que le football en Egypte...

Ces événements se produisent, c'est vrai, dans un contexte postrévolutionnaire d'instabilité, de frustration face à la lenteur des changements. Par ailleurs, on assiste, depuis plusieurs semaines à une recrudescence des tensions et de la criminalité. Il y a eu beaucoup d'agressions à l'arme blanche, des attaques de banques ces derniers jours, au Caire et à Charm el-Cheikh -où un Français a été tué; une prise d'otage d'ouvriers chinois et divers incidents violents dans le Sinaï. Depuis la révolution, le démantèlement de la sécurité d'Etat et les mises à sac de commissariat, beaucoup d'armes circulent dans le pays, en particulier en provenance de Libye.  

Les forces de sécurité sont mises en question

Cette nouvelle flambée de violence pose bien sûr la question des relations entre la police et l'armée. Celles-ci n'ont jamais été sereines. La police, sur laquelle le régime de Moubarak s'appuyait, beaucoup plus que sur l'armée, est actuellement, au sens propre, sur le banc des accusés: plusieurs de ses cadres, dont l'ancien ministre de l'intérieur, sont jugés pour leur participation à la répression contre les opposants. Et contrairement à Moubarak, Habib el-Adli risque vraiment la peine de mort. Certains en déduisent que la police fait une sorte de grève du zèle en n'exerçant plus ses fonctions de maintien de l'ordre et contribue ainsi à cette hausse de l'insécurité.   

L'armée a quant à elle montré à plusieurs reprises son incapacité à prendre le relais, notamment lors d'une manifestation de coptes qui a fait 25 morts en octobre, et lors de la répression des manifestations de la place Tahrir en novembre où plus de 40 manifestants ont trouvé la mort. On peut avoir deux lectures de ces dérives: l'incompétence des militaires à assurer ces fonctions de maintien de l'ordre, qui ne relèvent pas de leurs attributions "normales" , ou bien une volonté de montrer qu'il ne peut pas y avoir d'ordre sans eux. Je pencherais plutôt pour la première hypothèse. Reste à savoir si l'armée a les moyens d'exiger de la police qu'elle exerce ses fonctions.
 
Cette question de la sécurité et de la restructuration des appareils de sécurité sera bien l'un des premiers dossiers auquel vont se heurter les Frères musulmans, vainqueurs des dernières élections législatives. Sans retour de la sécurité, il sera difficile de permettre le redémarrage des affaires et notamment du tourisme, l'une des piliers de l'économie égyptienne.