samedi 24 septembre 2011

Révoltes arabes: l'islamisme perd de son emprise idéologique


La crainte d'une dérive islamiste et d'un redéploiement des systèmes politiques décriés dans le monde arabe continuent de marquer la période post-révolution des mouvements populaires pour le changement, notamment en Tunisie et en Egypte, ont souligné jeudi à Alger des universitaires et des politologues. 

Intervenant au colloque organisé par le quotidien El Watan intitulé « Le printemps arabe: entre révolution et contre révolution? », la sociologue Sarah Benfissa a évoqué une espèce « d'hybridation idéologique » parmi les forces politiques en présence dans les mouvements ayant pris part à ces révoltes populaires notamment en Tunisie et en Egypte.

Elle a néanmoins souligné, dans ce cadre, que « les forces islamistes sont en train de perdre" » sur le plan de l'emprise idéologique. « Nous constatons un début de la perte de la bataille idéologique par les islamistes dans les pays arabes ayant connu des révolutions », a-t-elle noté.

Les mouvements populaires pour le changement, selon elle, se référent au répertoire des droits de l'homme et une terminologie basée sur les cultures politiques locales.

La sociologue a estimé, par ailleurs, que les réformes engagées après ces révolutions « connaissent des lenteurs », notamment en Tunisie et en Egypte.

Elle a affirmé, à ce propos, que dans le cas de l'Egypte « le référendum sur la Constitution reprend des revendications formulées par des partis d'opposition avant la révolution », relevant que la demande de la population et ses attentes ont changé avec les manifestations et le départ de Moubarak.

Pour cette universitaire qui s'intéresse à la vie politique en Egypte, le Haut conseil militaire dans ce pays a établi une « coalition » avec les Frères musulmans « pour passer ce référendum ».

La sociologue française, Sandrine Gamblin, spécialiste des mouvements politiques en Egypte, a dressé, pour sa part, un tableau des forces politiques en présence en Egypte, en centrant son intervention sur les différentes scissions constatée au sein de la confrérie des Frères musulmans et l'apparition des salafistes qui viennent de créer des partis politiques.

Selon Sandrine Gamblin, les Frères musulmans sont organisés dans cinq partis différents, remettant en cause, de ce fait, la thèse qui insistait sur le caractère « monolithique » de cette confrérie.

Dans son exposé séquentiel des événements politiques ayant marqué l'Egypte durant le soulèvement populaire, elle s'est interrogé sur la coalition qui s'est formée autour des Frères musulmans et composée de plusieurs partis politiques dont le parti libéral traditionnel El Wafd et les Nassériens.

Elle a notamment soulevé le « problématique » article 2 du projet de Constitution égyptienne « consacrant la Chariaa comme unique source de la législation », une disposition constitutionnelle qui est « paradoxalement » revendiquée, a-t-elle dit, même par les libéraux, à l'instar du Mouvement des égyptiens libres conduit par l'homme d'affaire Nadjib Sawariss.

C'est ce qui l'a amené à poser la question de la nature de l'Etat en Egypte et la revendication d'un « Etat civil » par l'ensemble de la classe politique.

Le professeur en philosophie politique de l'Université de Kairouan (Tunisie), Farid Alibi, a remis en cause, quant à lui, l'intitulé du colloque, en proposant de qualifier les mouvements populaires arabes, notamment ceux d'Egypte et de Tunisie, de « révoltes » et non de révolutions.

Il a estimé, dans ce cadre, que ce qui se passe actuellement dans ces deux pays « s'apparente à une reproduction des mêmes systèmes décriés lors de ces soulèvements ».

Le Pr Alibi a critiqué, à ce sujet, la couverture médiatique des événements en Egypte et en Tunisie, ainsi qu'en Libye, en disant que « la presse a contribué au vol du contenu social et politique de ces révolutions, en application de l'agenda des pays impérialistes ».

Pour lui, il n'existe pas un printemps arabe mais plutôt « des velléités de reconstruction des vieux systèmes politiques du monde arabe ».





samedi 6 août 2011

Escalade de la contestation sociale en Israël

Des manifestants à Tel Aviv le 6 juillet 2011

TEL-AVIV — La contestation sociale en Israël est montée d'un cran samedi avec la participation de plus de 300.000 manifestants à Tel-Aviv et dans d'autres villes, venus réclamer la "justice sociale".

Cette mobilisation, la plus importante dans l'histoire d'Israël sur des sujets sociaux, a montré la vigueur d'une contestation, lancée il y a trois semaines et qui loin de s'essouffler prend encore de l'ampleur.
"Mission accomplie. Nous sommes bien plus nombreux que la semaine dernière", confie à l'AFP Rachel Atar, une ingénieur en électronique, âgée de 45 ans.

"Enfin les classes moyennes prennent conscience de leur force" estime Edith Cohen (65 ans), assistante sociale.

Les organisateurs du mouvement se sont félicités que le nombre des manifestants ait largement dépassé la "masse critique" de 200.000 qu'ils espéraient atteindre, pour contraindre le gouvernement de droite à céder sur leurs revendications.

Le porte-parole de la police, Micky Rosenfeld, a évalué quant à lui à "plus 200.000 le nombre de manifestants à Tel-Aviv et 30.000 à Jérusalem", alors que des manifestations moins importantes étaient signalées dans d'autres localités.

Selon la radio militaire et d'autres médias, plus de 300.00 manifestants ont défilé dans tout le pays.

Lors d'une précédente manifestation, une semaine plus tôt, plus de 100.000 manifestants avaient défilé à Tel-Aviv et dans plusieurs autres villes du pays.

Arborant des drapeaux israéliens et quelques drapeaux rouges, les manifestants à Tel-Aviv ont scandé "le peuple exige la justice sociale", "le peuple contre le gouvernement" et "nous voulons un Etat providence , tout de suite".

Dans une ambiance de kermesse, ils ont déployé des banderoles appelant notamment à la "solidarité" et une grande affiche avec l'inscription: "ici c'est l'Egypte", en référence au Printemps arabe et au mouvement de contestation qui a renversé le président égyptien Hosni Moubarak.

Les manifestants, dans leur écrasante majorité laïcs, réclament de nombreuses mesures: construction massive de logements pour offrir des locations à bas prix, hausse du salaire minimum, taxes sur les appartements inoccupés et école gratuite à tout âge.

Lors d'un rassemblement devant le ministère de la Défense à l'issue de la manifestation, des représentants de différentes composantes de la société israélienne ont appelé à poursuivre la lutte.

Le dirigeant de l'association nationale des étudiants, Izik Shmuli, a dénoncé le "creusement du fossé social". Le rabbin Benny Lau, figure du sionisme religieux, a proclamé qu'Israël "ne mérite pas d'être considéré comme un Etat juif tant qu'il ne suit pas les règles de justice sociale" de la Bible.

L'écrivain arabe israélien Sayed Kashua, a pour sa part, dénoncé "les destructions de maisons dans les localités arabes, les saisies de terres" et autres mesures discriminatoires, visant une minorité qui représente 20% de la population globale.

A Jérusalem, les manifestants se sont rassemblés dans le centre-ville puis se sont rendus devant la résidence du Premier ministre, Benjamin Netanyahu.

Déclenché à la mi-juillet contre la hausse effrénée du prix des logements, le mouvement social mobilise surtout les classes moyennes. Il est soutenu par les médias, de nombreux artistes et par l'opposition, bien qu'il refuse toute participation de partis.

Regroupant une quarantaine d'organisations sociales, il dénonce la politique de privatisations à outrance menée par les différents gouvernements qui se sont succédés en Israël depuis plusieurs décennies et la dégradation du service public.

M. Netanyahu a nommé une commission censée ouvrir des négociations avec les dirigeants du mouvement de contestation, justifiant certaines de leurs demandes tout en les accusant de "verser dans le populisme".



L'Egypte débat sur la dose de religion à mettre dans la Constitution

"Guerre de slogans" entre les forces islamistes et laïcs autour de la future constitution du pays. Interview de Stéphane Lacroix, spécialiste de l'islam politique.

 
 
Interview de Stéphane Lacroix, chercheur à Sciences-Po Paris, par Judith Chetrit

Lors de vos séjours en Egypte à la fin du printemps, avez-vous pu constater une impatience, voire une incompréhension des Egyptiens?

- Oui, très largement. Mais c’est quelque chose de classique dans une période post-révolutionnaire où personne ne trouve que le changement va assez vite. La situation en Egypte est particulière car le Conseil militaire supervise la transition et certains considèrent que la volonté de changement de l'institution militaire n'est pas sincère. C'est une question régulièrement posée par les militants d'obédience laïque ou libérale. Ceci peut expliquer pourquoi le procès de Moubarak a finalement eu lieu mercredi.

En mai-juin, on ne pensait pas que le procès allait être tenu si rapidement. Le fait que le procès ait eu lieu en présence de Moubarak, et en dépit de son ajournement au 15 août, peut calmer les angoisses. C'est le signe d'un engagement fort du Conseil militaire. Toutefois, on n'en est qu'au début et on n'est pas en mesure de savoir sur quoi ce procès va se déboucher.


Pourquoi existe-t-il cette méfiance à l'égard de l'institution militaire?

- Le Conseil militaire n'a pas de raisons d'être structurellement une institution pro-démocratie. Les hauts-gradés qui la composent ont fait carrière sous Moubarak, et certains ont été promus par l'ancien dirigeant. L'armée a su tirer son épingle du jeu en janvier en se rangeant du côté des manifestants mais cette alliance reste fragile et est traversée de suspicions réciproques. L'armée veut conserver sa place et ses privilèges. Néanmoins, peu de gens craignent que l'armée garde le pouvoir et ne le remette pas aux instances civiles. Certains pensent que l'armée fait le jeu des islamistes, d'autres affirment qu'elle fait le jeu des libéraux. L'armée est donc prise entre le marteau et l'enclume. Elle aura certainement envie de se désengager d'une situation peu gérable.


Quels sont les principaux points d'achoppement entre islamistes et libéraux en Egypte?

- Le grand débat actuel est de savoir si la Constitution sera écrite avant ou après les élections qui devraient se tenir en octobre ou novembre puisque la date n'a pas encore été fixée par le Conseil militaire.

Un choix est à faire : soit la Constitution sera écrite par une assemblée constituante qui résultera du choix des urnes, soit une commission sera nommée avant les élections pour poser les grands principes de la nouvelle constitution égyptienne et dans ce cas-là, l'assemblée qui sera élue ne s'attèlera qu'à la rédaction des détails. Les islamistes préfèrent des élections en amont car ils savent qu'ils ont des bonnes chances de faire un bon score, et pourront alors obtenir une Constitution reflétant leur projet. 

A contrario, les forces libérales veulent dès maintenant inscrire dans le marbre certains principes constitutionnels directeurs, que les islamistes, même s’ils obtiennent la majorité dans la future assemblée, ne pourront remettre en cause. Il faut savoir qu'au moment du référendum du 20 mars, 77% des Egyptiens, à l’appel des islamistes, ont accepté que les affaires courantes soient régies, jusqu’aux élections, par une version légèrement amendée dela Constitution en vigueur sous Moubarak. Aux yeux des islamistes, cela exclut toute nouvelle activité constitutionnelle avant les élections – ce que les libéraux contestent.

Ce qui est intéressant ici est que ce sont les islamistes qui se réclament de la démocratie alors que les libéraux ne disposent pas d'outil démocratique pour légitimer leurs requêtes.


La polarisation politique entre islamistes et libéraux s'est-elle exacerbée depuis la fin de l'ère Moubarak?

- Très clairement, la fracture reste vive. Certains partis tentent de tirer leur épingle du jeu. Par exemple, le parti du courant égyptien, qui a fait scission avec les islamistes en juin et est dirigé par d'anciens leaders des jeunesses des Frères musulmans. Ces jeunes, provenant pour la plupart des classes moyennes du Caire, refusent de se laisser enfermer dans des catégories si clivantes. Ils orientent tous leurs débats sur l'économie.

Pour l'instant, le débat politique en Egypte revient à savoir quelle est la dose de religion qu'on mettra dans la Constitution. La ligne de fracture se concentre sur l'appellation du futur Etat. Sera-t-il un Etat islamique ? Un Etat civil ? C'est davantage un débat de forme qu'un débat de fond, une guerre de slogans en quelque sorte.

Cette polarisation est un héritage de l'autoritarisme où le gouvernement montait les islamistes contre les libéraux, et vice-versa, et excluait tout débat sur les idées pour neutraliser les forces politiques. Ceci explique pourquoi les forces politiques ont du mal à instaurer une confiance mutuelle propice à l'unité nationale.







jeudi 4 août 2011

Égypte : Que risque Moubarak ?


Le procès de l'ancien dictateur égyptien s'est ouvert mercredi. Le pharaon est poursuivi pour meurtre et corruption.

L'image aura fait le tour du monde, celle d'un ancien dictateur déchu, vieillard grabataire allongé sur un brancard et caché par des grilles. Le procès d'Hosni Moubarak, 83 ans, a débuté mercredi 3 août. Un procès pour l'histoire tant le verdict aura une portée internationale, un message envoyé à tous les autres dictateurs du monde, qu'ils aient été balayés comme Zine el Abidine Ben Ali, l'ancien leader tunisien, ou qu'ils poursuivent leur répression, tel Bachar al-Assad en Syrie. 

Cette première apparition en public de l'ancien dictateur depuis sa démission, le 11 février 2011, a provoqué une double réaction. Il y avait ceux qui, à l'ouverture du procès, étaient heureux de voir Moubarak comparaître devant des juges. Il y en avait d'autres qui, mal à l'aise, plaignaient presque l'ancien dirigeant, vieux, malade. 

Ce choix d'opinion n'a pour l'instant aucune incidence. Il en aura certainement pour l'histoire. Hosni Moubarak est poursuivi pour meurtre et corruption. Il est notamment accusé d'avoir ordonné aux forces armées de tirer sur les manifestant pendant le soulèvement de janvier. « Toutes ces accusations, je les nie complètement », a assuré l'ancien leader égyptien.

L’ancien ministre de l’Intérieur et six autres prévenus partagent dans ces accusations. S'il est reconnu coupable de meurtre, Moubarak encourt la peine de mort. Toutefois, la justice égyptienne n'a pas pour habitude d'appliquer cette peine contre un homme malade, âgé de 83 ans.

Le moment n'est pas venu. Hosni Moubarak subira peut-être le même sort que Saddam Hussein, condamné à mort en 2006 pour  crime contre l'humanité. Marid, le procès été ajourné au 15 août. L'ancien président égyptien devra rester à disposition de la justice dans un hôpital près du Caire.
 
 
 

vendredi 1 juillet 2011

Egypte : Les noctambules reprennent leurs droits

Couvre-feu . Depuis le 28 janvier et après 138 jours d’application, les forces armées ont décidé d’annuler cette mesure. Les Egyptiens, habitués à rester tard dans la rue, reprennent leur style de vie.

C’est un jeudi exceptionnel. Il est 2h du matin. Le 16 juin. C’est le premier week-end après l’annulation totale du couvre-feu. Cafés, restaurants, hypermarchés, magasins et petites échoppes continuent à ouvrir leurs portes et à accueillir des clients. La capitale semble reprendre son style de vie et les Cairotes sont là dans les rues pour célébrer cette liberté tant attendue. Embouteillages, agitation inhabituelle, un va-et-vient incessant de citoyens de tout âge. Une présence sécuritaire exceptionnelle, des klaxons qui arrivent de partout comme s’il s’agit de noces collectives. Une capitale en fête et un retour à la normale pour les Egyptiens qui, de nature, adore veiller, et se balader tard la nuit dans les rues du Caire. « Une bouffée d’air, le sang circule de nouveau dans nos artères », c’est ainsi que qualifie un père de famille la décision d’annuler le couvre-feu. 
 
A 2h du matin, aucun indice ne semble révéler que cette capitale ait connu un couvre-feu. Des visages souriants, un sentiment d’exaltation et de joie se lit sur les visages des passants. 

« On comptait les jours qui nous séparaient de cette date buttoir. Nous étions presqu’enfermés à la maison. La présence du couvre-feu avait un effet psychologique sur nous tous, car elle voulait tout simplement dire que la vie n’a pas encore repris son cours normal », dit Am Khaïry, fonctionnaire. Accompagné de sa femme et de ses deux filles, il s’est rendu sur le pont du 6 Octobre, a garé sa voiture et a fait la balade à pied avec sa famille. Ils se sont promenés au bord du Nil, respirant la brise de l’été. Comme s’ils étaient en train de découvrir de nouveau ce beau visage d’une capitale qui leur manquait tant. Une balade que cette famille avait l’habitude de faire durant les mois chauds d’été.
 
Une mesure discutée 

En effet, la décision d’annuler le couvre-feu a été prise par le Conseil suprême des forces armées suite à « une amélioration de la situation », comme l’a indiqué le communiqué publié par le Conseil. Imposé depuis le 28 janvier, le vendredi de la colère, après de violentes émeutes, le couvre-feu était en vigueur dans 3 grandes villes d’Egypte : au Caire, à Alexandrie et à Suez. Ces villes qui ont connu les confrontations les plus sanglantes entre les manifestants et les forces de sécurité. A l’origine, ce couvre-feu de larges horaires de l’après-midi, commençant à 15h et toute la nuit jusqu’à 6h du matin. Suite à une seconde réduction, il est interdit de se trouver dans les rues entre 17h et 7h du matin. Le 12 février, l’armée a allégé le couvre-feu de minuit à 6h. Ensuite, le couvre-feu a été réduit à trois heures, entre 2h et 5h.

Quelques jours après l’annulation complète du couvre-feu, Le Caire grouille de monde. On est sur le pont Qasr Al-Nil. Il est 3h du matin mais cela n’empêche pas les taxis de circuler et les vendeurs d’exposer leurs marchandises. On trouve de tout : jouets, fruits secs, friandises ou barbes à papa. D’autres offrent, lors de ces veillées nocturnes, du yaourt, des œufs et du sémit. Mohamad met sur sa tête un panier. Celui-ci, avant la révolution, était vendeur de tee-shirts et de serviettes à Al-Azhar, quartier touristique du Caire, mais il a décidé de changer de métier après la révolution, car plusieurs pays ont décidé d’évacuer leurs ressortissants vivant en Egypte comme les Etats-Unis, l’Australie, la France, la Chine et le Royaume-Uni aussi. 

« Termess ! Termess ! », crie un autre vendeur, proposant à ses clients ses lupins jaunes. « Notre revenu est aujourd’hui très modeste. Je gagnais entre 70 et 100 L.E. par jour avant la révolution. Je pense que l’annulation du couvre-feu fera revenir ces beaux jours », raconte Am Dahi, originaire d’Assiout, qui se déplace sur le pont de 6 Octobre depuis 30 ans. Les foules de passants présents dans la rue à cette heure semblent rassurer ce vieux vendeur. 

De l’autre côté du pont, le bruit des klaxons et des youyous annoncent l’arrivée d’un couple de nouveaux mariés. Ils sont originaires de Zawya Al-Hamra, un quartier populaire du Caire. Ils sont venus avec leurs frères, leurs amis et les jeunes qui veulent célébrer cet événement exceptionnel. Ce n’est pas par hasard s’ils ont choisi de le célébrer ce jour-là. « Nous avons profité de la levée du couvre-feu et nous avons l’intention de rester jusqu’à l’aube à danser dans la rue. Nous n’avons pas les moyens pour faire nos noces ailleurs. Le pont est un lieu idéal pour nous », dit Ragab, le jeune marié. De l’air frais, une vue sur le Nil et aussi la participation des passants. « On a d’ici le même panorama que celui des hôtels cinq étoiles qui donnent sur le Nil », poursuit-il, en se déplaçant avec sa femme pour prendre quelques photos avec la famille et les amis qui les accompagnent.

Non loin d’ici, à la place Tahrir, ou la place de la Libération, on a l’impression de mettre le pied dans un parc public. Des centaines de jeunes, des amoureux, des familles qui discutent, des enfants qui jouent au ballon ou à cache-cache. Certains vendeurs tiennent des drapeaux alors que des jeunes proposent aux enfants de leur dessiner le drapeau égyptien sur le visage contre une somme modeste. Au centre de la place, un jeune musicien, Magdi, chante des chansons patriotiques, au rythme de sa guitare. Sa voix mélodieuse donne plus de charme à la nuit. « Nous sommes vraiment au comble de la joie d’avoir l’opportunité d’assister à une telle soirée splendide en plein air après la levée du couvre-feu », disent les femmes. Portant une djellaba et un foulard noirs, Fatma est assise sur le sol et semble jouir de la musique. 

Tahrir place foraine 

Non loin d’elle, des jeunes viennent d’arrêter trois baltaguis qui tentaient d’embarrasser les passantes. Les jeunes de la place les ont suivis jusqu’à la rue Talaat Harb et les ont livrés à la police. 

En effet, la présence de la police se fait facilement remarquer cette nuit-là. A 1h du matin, ils ont dressé des barrières à l’entrée de certains quartiers et font des points de contrôle. 

Ali est un livreur à McDonald’s. Ce restaurant vient de reprendre ses horaires d’avant la révolution, à savoir 24 heures sur 24. Une décision qui inquiète ce jeune livreur qui devra circuler en moto tard la nuit dans les rues du Caire. « Durant le couvre-feu, nous étions obligés de passer la nuit au sein du restaurant. Je partais à 7h du matin. Nous avons complètement fermé nos portes le 28 janvier. Nous avons souffert de grosses pertes. Aujourd’hui, nous espérons que les choses changeront », dit Ali. « Aujourd’hui et après la fin du couvre-feu, on ouvre de nouveau 24h sur 24. Nos pertes ont atteint les 30 % en temps de crise », se plaint le directeur de l’antenne. 

A la rue Gameat Al-Dowal à Mohandessine, quartier huppé du Caire, toutes les échoppes sont ouvertes. Mais, la prudence est de mise. « Aujourd’hui, nous sommes plus optimistes même si les clients se font rares. Pour nous, le couvre-feu a été la cause de lourdes pertes économiques. L’été est pour nous une saison fructueuse. Notre principale clientèle est composée des touristes des pays du Golfe. Ces derniers sont habitués à se rendre dans le magasin après 2h du matin », raconte un propriétaire d’un magasin de chaussures à Gameat Al-Dowal. 

Le show de minuit

Devant le cinéma Al-Tahrir à Doqqi. C’est le spectacle Midnight. Un spectacle qui était annulé lors des cinq derniers mois. « Nous souhaitons que les clients reviennent. L’été est la saison la plus importante de toute l’année. Pourtant, on compte à peine 40 chaises sur un total de 160. Le pire est que les producteurs des films ont décidé de reporter la parution de leurs films, car ils ont peur des pertes », se plaint le guichetier.

Au sein du café Cilantro, situé à Midane Al-Messaha à Doqqi, les clients sont là. Les antennes situées à Zamalek, Mohandessine et Héliopolis et qui travaillaient 24h sur 24 ont repris ces horaires. « En moins d’une semaine et après la levée du couvre-feu, les fidèles de notre café, et surtout les veillées nocturnes sont de retour. Les taux de vente ont réalisé une hausse de 90 % ces derniers jours », précise le directeur du café. 

Devant le supermarché Metro, Magdi fait ses courses de la semaine tard la nuit. Durant le couvre-feu, ce supermarché fermait ses portes à minuit pour que les employés puissent se rendre chez eux avant 2h du matin. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Satisfait de ces nouveaux horaires, cet ingénieur, qui habite à Madinet Nasr, n’ose plus se rendre à Carrefour où il avait l’habitude de faire ses courses. « Situé sur l’autoroute de Qattamiya, il est très dangereux de s’y rendre à cause des baltaguis avec la présence timide de la police », explique Magdi. 

Sur sa page Facebook, le Conseil suprême des forces armées avait fait un sondage pour connaître l’avis des citoyens sur le prolongement ou l’annulation du couvre-feu. 54 000 ont considéré que le fait de le prolonger jusqu’aux élections présidentielles en décembre 2011 est une bonne idée, alors que 15 000 étaient en faveur de son annulation. 

Une chose est sûre : les choses ne vont pas changer du jour au lendemain et les Egyptiens vont mettre du temps pour se sentir en sécurité. 

C’est presque l’aube du vendredi, la famille de Hagg Hicham a décidé de terminer sa tournée dans les rues de la capitale par une pause café à la Tour du Caire. Ils contemplent le lever du soleil, respirent cet air de liberté et jettent un coup d’œil admirateur sur une capitale qui, malgré tous ses maux, a toujours cet art de fasciner.


 Manar Attiya




Egypte: "La révolution de la deuxième colère"

Les manifestants ne résistent pas à l'envoie de grenades lacrymogène, ce mercredi 29 juin 2011.Réunis devant le ministère de l'Intérieur,ils ont été repoussé par les forces de sécurité

 

Des heurts violents ont éclaté cette semaine entre des forces de sécurité et des manifestants au Caire. Les méthodes de répression rappellent celles utilisées par le régime passé.


Dans la nuit de mardi à mercredi ont éclaté des heurts dans le quartier d'Agouza, près du théâtre, où s'étaient réunies de nombreuses familles de victimes de la révolution du 25 janvier. Dès la tombée de la nuit, des groupes rejoignent la place Tahrir, épicentre de la révolution égyptienne. Les émeutes reprennent sur la place, avec une violence qu'on croyait révolue en Egypte. A l'origine de ce regain de violence et de colère, des heurts entre des policiers et des familles de victimes, réunis au théâtre d'Agouza pour réclamer le jugement des responsables de la répression.  

Les jugements tardent et exaspèrent de nombreux parents de martyrs, morts pour la liberté et la chute du système, plus de quatre mois après le départ d'Hosni Moubarak. La famille de Khaled Saïd a appris ce jeudi par la cour de justice d'Alexandrie, le report du procès des deux policiers incriminés dans la mort de celui qui était devenu le symbole de la violence du régime. Une décision qui conforte l'idée répandue que le régime passé est toujours là.  

Témoignage

Une jeune Egyptienne, témoin de cette explosion de violence, raconte... "Il est environ 18 heures. J'étais au sit-in des familles de victimes organisées à Maspero. Je trouvais l'endroit inhabituellement vide. J'ai appris qu'un groupe s'était rendu à une marche commémorative à Agouza. Je n'étais pas en mesure de déterminer qui avait organisé cette célébration et pourquoi des familles avaient décidé de quitter le sit-in pour se rendre à Agouza. A leur retour d'Agouza, un groupe a montré les images de la répression et raconté la violence des affrontements avec les forces de sécurité."   

Déclenchés par le refus des policiers de laisser entrer les personnes soutenant les familles des martyrs, les affrontements s'enveniment rapidement et gagnent en violence minute après minute. "Immédiatement la police est arrivée et a commencé à tirer des grenades lacrymogènes et à utiliser des Tasers contre les manifestants."  
 
Rendez-vous le 8 juillet

Depuis, les appels à manifester le 8 juillet ne cessent de circuler sur Facebook et dans les quotidiens égyptiens comme Masry al-Yioum et al-Chorouk(en arabe), qui titre sur "la révolution de la deuxième colère". Nombres de jeunes partis et de militants demandent aux Egyptiens de descendre place Tahrir et menacent de rester jusqu'à la démission du Premier ministre Issam Charaf et de son gouvernement chargée des affaires courantes. Le jugement public des symboles du régime passé, impliqués dans la mort de manifestants, figurent parmi les premières conditions des chabab (jeunes) de la place Tahrir.   

"Nous annonçons le début des manifestations ouvert jusqu'à la réalisation de l'ensemble des demandes de la révolution." Au regard de la violence utilisée contre les manifestants et les familles de martyr ce mardi, "la révolution n'a pas réussi et les droits restent pillés", conclut un militant dans le quotidien Masry al-Yioum.   

Répression digne du régime passé 

Ce regain de violence a aussi montré que les méthodes de répression ne changent pas, malgré la révolution. Mardi soir, le ministère de la Santé évoquait déjà plus de 1400 blessés au cours des affrontements. Les manifestants, interrogées par la chaîne Al-Jazeera ne comprennent pas que les armes associées au régime policier d'Hosni Moubarak soient à nouveau utilisées contre les manifestants.   

Le rendez-vous des législatives est encore loin pour de nombreux militants qui attendent des changements rapides au sein de la direction du pays, qui n'a rien de révolutionnaire.  




mardi 28 juin 2011

Egypte : un Mickey barbu provoque l'indignation des salafistes



LE CAIRE (AP) — Ce n'est pas la première fois que Naguib Sawiris déclenche les foudres pour ses positions sur l'islam en Egypte: ce chrétien, grand manitou des télécommunications, vient à nouveau d'attiser la colère des islamistes ultra-conservateurs en publiant sur Internet un dessin humoristique représentant un Mickey affublé d'une barbe et une Minnie d'un voile lui dissimulant le visage.

Pour les salafistes, cette image mise en ligne sur Twitter tourne leur religion en ridicule. Ces islamistes tenants de la ligne dure ont lancé une campagne en ligne appelant les musulmans en Egypte à boycotter Mobinil, l'entreprise de téléphonie mobile de Naguib Sawiris. Lundi, les actions de Mobinil et d'Orascom Telecom, fondée par le magnat des télécommunications, ont chuté à la bourse d'Egypte.

Riche propriétaire d'entreprises de médias, Naguib Sawiris défend une Egypte laïque. Après le départ le 11 février du président Hosni Moubarak sous la pression d'un soulèvement populaire, il a lancé un parti politique qui plaide en faveur d'une séparation entre l'Etat et la religion.

A la suite des plaintes suscitées par la diffusion du dessin sur Mickey et Minnie il y a quelque jours, Naguib Sawiris s'est fendu d'excuses vendredi sur Twitter et affirmé qu'il s'agissait d'une plaisanterie. "Je présente mes excuses à ceux qui ne l'ont pas pris pour une blague, je pensais juste qu'il s'agissait d'une image drôle" qui n'avait rien à voir avec une marque d'"irrespect. Je suis désolé", a-t-il écrit.

Mais des internautes n'ont pas du tout goûté son sens de l'humour: de nouveaux groupes ont fleuri sur Facebook et rapidement gagné plus de 60.000 membres, appelant à un boycottage de son entreprise de téléphonie mobile. "Si vous êtes vraiment un musulman et que vous aimez votre religion, boycottez ses projets", a exhorté un groupe baptisé "Nous plaisantons, Sawiris". "Nous devons couper la langue à toute personne attaquant notre religion."

Un autre groupe nommé "Nous te détestons Mickey Sawiris" dépeint l'homme d'affaires égyptien en Mickey Mouse, la souris humanoïde emblématique de l'univers Disney. Son mot d'ordre: "Non aux moqueries contre l'islam."

A cet assaut sur le Web s'ajoutent des ripostes judiciaires: au moins 15 avocats salafistes ont intenté des actions en justice accusant Naguib Sawiris d'outrage à la religion, a rapporté un responsable du bureau du procureur général.

Les dessins humoristiques représentent en Egypte une nouvelle source des tensions communautaires, qui ont déjà débouché sur des violences en un certain nombre d'occasions dans la période de transition chaotique post-Moubarak.

Un religieux salafiste, Mazen el-Sersawi, a tancé Naguib Sawiris lors d'une apparition à la télévision. "Honte à vous", s'est-il exclamé. "Comment un homme de ce type peut-il plaisanter sur les musulmans dans un pays au bord de la discorde communautaire. Si c'est juste une plaisanterie, pourquoi ne représentez-vous pas Mickey en moine ou en religieuse?".

Naguib Sawiris n'en est pas à sa première sortie controversée sur l'islam. En 2007, il s'était exprimé contre le voile islamique. "Je ne suis pas contre le voile... mais quand je marche dans la rue, j'ai l'impression d'être un étranger", avait-il dit dans un média local.

Les salafistes, des fondamentalistes sunnites prônant un retour à l'islam des origines, se distinguent par leur apparence et leurs tenues vestimentaires. Dans de nombreux secteurs du Caire, les femmes portent le niqab, un voile laissant apparaître les yeux, plutôt que le foulard qui dissimule seulement les cheveux. Les hommes portent de longues barbes et se rasent souvent la moustache.

La campagne contre Sawiris montre combien ses revendications pour une Egypte laïque gênent les islamistes. Elle pourrait également aboutir à diviser l'opinion publique à l'approche des législatives cruciales, programmées pour septembre
 
 

 


 

lundi 27 juin 2011

La CPI lance un mandat d'arrêt contre Mouammar Kadhafi



Les juges de la Cour pénale internationale (CPI) ont lancé un mandat d'arrêt contre Mouammar Kadhafi, son fils Seif Al-Islam et le chef des services de renseignements libyens, Abdallah Al-Senoussi, pour crime contre l'humanité.

La Cour pénale internationale (CPI) a annoncé lundi la délivrance d'un mandat d'arrêt à l'encontre de Mouammar Kadhafi pour crimes contre l'humanité commis en Libye depuis le 15 février.
            
"La chambre délivre, par la présente, un mandat d'arrêt contre Mouammar Kadhafi", a déclaré la juge Sanji Mmasenono Monageng, lors d'une audience publique à La Haye.
            
Les juges ont également délivré des mandats d'arrêt pour crimes contre l'humanité à l'encontre du fils de M. Kadhafi, Seif Al-Islam, et du chef des services de renseignements libyens, Abdallah Al-Senoussi.
            
Le procureur Luis Moreno-Ocampo avait le 16 mai demandé aux juges des mandats d'arrêt contre les trois hommes. Il les accuse d'être responsables de meurtres et de persécutions commis par les forces de sécurité libyennes sur la population civile depuis l'éclatement de la révolte mi-février, notamment à Tripoli, Benghazi et Misrata.
            
Saisi par le Conseil de sécurité des Nations unies le 26 février, le procureur de la CPI avait ouvert son enquête le 3 mars.
            
La révolte en Libye a fait des milliers de morts, selon le procureur de la CPI. Elle a en outre entraîné la fuite à l'étranger de près de 650.000 Libyens et le déplacement à l'intérieur du pays de 243.000 autres, selon l'ONU.




vendredi 17 juin 2011

L'arrestation d'un «espion» israélien fait jaser l'Égypte

Les journaux égyptiens affichent tous Ilan Grapel en une.

Ilan Grapel est accusé par les autorités du Caire d'agir pour le compte du Mossad.


Son visage juvénile s'affiche à la une des journaux égyptiens. Ici attablé devant une bière dans un café cairote, là sur la place Tahrir, épicentre de la révolution, avec une pancarte en arabe critiquant Barack Obama. À en croire les autorités égyptiennes, Ilan Grapel, un Américano-Israélien de 27 ans, est un agent du Mossad qui se livrait à des activités d'espionnage «dans le but de porter atteinte aux intérêts économiques et politiques du pays». Selon le parquet, qui l'a placé en détention préventive pour quinze jours, il est entré en Égypte «en se faisant passer pour un journaliste». Des sources judiciaires l'accusent d'avoir cherché à provoquer des tensions entre les jeunes révolutionnaires et l'armée, ainsi qu'entre musulmans et coptes. Une accusation reçue avec scepticisme par nombre d'experts égyptiens, qui soulignent que le jeune homme n'a pas le profil d'un spécialiste des missions secrètes. 

L'ambassade d'Israël au Caire n'a fait aucun commentaire. À Tel-Aviv, le ministère des Affaires étrangères et le Mossad ont nié qu'Ilan Grapel agisse pour le compte du gouvernement israélien. Selon son père, il s'était rendu en Égypte en tant que volontaire pour une agence d'aide aux réfugiés. Un de ses amis, cité par le Jerusalem Post, le décrit comme un «activiste de gauche pro-arabe», bien qu'il ait fait son service militaire dans une unité parachutiste de l'armée israélienne et qu'il ait été blessé par le Hezbollah au Liban-Sud en 2006.

Qui est vraiment Ilan Grapel? Pour les observateurs au Caire, ce n'est pas le plus important: la question est surtout de savoir quel but recherchent les autorités qui ont déjà expulsé le mois dernier un diplomate iranien accusé d'espionnage. Un diplomate européen y voit «une nouvelle illustration de la politique de rupture» avec le régime d'Hosni Moubarak, jugé trop conciliant avec Israël. L'Égypte a suspendu ses livraisons de gaz naturel à prix bradés et rouvert le terminal de Rafah, allégeant le blocus de Gaza. Autant d'initiatives saluées par l'opinion publique, dont un récent sondage a montré qu'elle était favorable à une remise en question du Traité de paix avec Israël. «On peut aussi y voir une tentative de la part des services de sécurité de redorer leur blason, sérieusement écorné par la révolution», ajoute le diplomate européen. Le blogueur Hossam el-Hamalawy suspecte, lui, une autre explication: «L'armée pourra désormais accuser quiconque la critique d'agir pour le compte d'Israël»…




samedi 11 juin 2011

Libye: Ankara a offert à Kadhafi des garanties pour un exil


TRIPOLI — La Turquie a offert à Mouammar Kadhafi des "garanties" pour un exil, mais le dirigeant libyen contesté n'a pas donné suite à cette proposition, bombardant au contraire à nouveau l'enclave rebelle de Misrata.

Le colonel Kadhafi "n'a pas d'autre solution que de quitter la Libye, avec une garantie qui lui sera donnée... Nous lui avons donné cette garantie. Nous lui avons dit que nous apporterions notre aide pour qu'il soit envoyé là où il le souhaite", a déclaré le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan.

"Selon la réponse qu'il nous donnera, nous soumettrons cette question à nos alliés (de l'Otan), mais malheureusement, nous n'avons pas reçu de réponse jusqu'à présent", a-t-il ajouté.

Seul pays musulman de l'Alliance, la Turquie ne participe pas aux raids aériens visant depuis le 19 mars le régime de M. Kadhafi qui refuse de quitter le pouvoir et reste combatif malgré les pressions, les sanctions et l'isolement internationaux.

Malgré cette nouvelle tentative de médiation, Tripoli a poursuivi ses attaques contre les rebelles, rouvrant le front de Misrata, cette enclave tenue par l'insurrection à 200 km à l'est de la capitale.

Au moins 20 personnes -civils et rebelles- ont ainsi perdu la vie vendredi, et plus de 80 blessées dans un bombardement à la roquette de type Grad, à l'artillerie lourde et aux obus de chars, a dit la rébellion.

Assiégés et pilonnés pendant deux mois, les rebelles avaient réussi à desserrer l'étau de la ville début mai.

De son côté, l'Otan, qui a prolongé son mandat de trois mois, jusqu'à fin septembre, a visé jeudi 14 cibles du régime dans cette région.

Des chasseurs britanniques ont eux détruit vendredi quatre chars "cachés dans un verger" près de la ville d'Al-Aziziyah au sud-ouest de Tripoli, selon le ministère de la Défense. Les Tornado et Typhoon de la Royal Air Force ont également bombardé une base militaire à Al-Mayah près de la capitale.

Près de trois mois après le début des opérations de la coalition, sous mandat de l'ONU, le secrétaire américain à la Défense Robert Gates a évoqué un manque d'investissements politiques et militaires de la part des alliés occidentaux de l'Alliance. Ces "lacunes" pourraient "compromettre" l'efficacité de la mission passée sous commandement de l'Otan le 31 mars, a-t-il averti.

La Norvège, qui contribue avec six chasseurs F-16 aux frappes en Libye, a malgré tout annoncé qu'elle mettrait fin à sa participation aux opérations le 1er août, alors que les Pays-Bas vont prolonger la leur de trois mois.

Sur le front humanitaire, trois nouveaux bateaux de migrants partis de Libye sont arrivés sur l'île italienne de Lampedusa avec 667 personnes dont des femmes et des enfants.

"Quatre autres bateaux, dont deux en difficulté, vont arriver. Nous préparons une opération pour les secourir", ont indiqué les gardes-côtes italiens. "Ce sont tous des Africains sub-sahariens qui arrivent de Libye".

Près de 900.000 personnes ont ainsi pris le chemin de l'exode depuis le début du conflit en Libye qui, lancé le 15 février par une révolte contre le pouvoir, a fait aussi des milliers de morts, selon des agences de l'ONU.

Diplomatiquement, une délégation du gouvernement libyen a été reçue vendredi à Nouakchott par le président Mohamed Ould Abdel Aziz. Président du comité de chefs d'Etat de l'Union africaine chargé de trouver une solution négociée au conflit, il avait déclaré à l'AFP que "Kadhafi ne peut plus diriger la Libye".

C'était la première fois qu'un haut dirigeant de l'UA appelait ouvertement au départ du colonel au pouvoir depuis 42 ans, l'UA défendant depuis le début sa "feuille de route" prévoyant une cessez-le-feu et l'instauration d'une période de transition.



vendredi 10 juin 2011

Egypte: la police, honnie mais indispensable, dilemme du nouveau pouvoir


LE CAIRE — Honnie par une large part de la population, décriée par les défenseurs des droits de l'Homme, mais en même temps suppliée d'enrayer une criminalité croissante, la police égyptienne pose un grave dilemme au nouveau pouvoir dirigé par les militaires.

Les limogeages dans la haute hiérarchie policière et la dissolution de la Sécurité de l'Etat -police politique tentaculaire et redoutée- alternent avec les appels pour que les policiers reprennent le travail sans être montrés du doigt ou pris à partie.

Quatre mois après la chute du régime de Hosni Moubarak, un fait divers récent -la mort d'un chauffeur de minibus décédé après une altercation avec un policier au Caire- a fait ressurgir les polémiques du passé.

La polémique entre la version du pouvoir -favorable au policier- et celle des militants des droits de l'Homme -qui accable les forces de l'ordre- rappelle davantage le climat prévalant sous le régime déchu, que l'ère nouvelle de respect des droits et de transparence promise.

Selon le ministère de l'Intérieur, le conducteur aurait sorti une arme blanche et aurait été tué par la foule qui entendait protéger le policier. Des militants des droits de l'Homme affirment en revanche que le chauffeur a été conduit dans un commissariat, où il aurait été battu avant de mourir à l'hôpital.

Discréditée aux yeux d'une vaste partie des Egyptiens pour sa brutalité sous M. Moubarak et pour son rôle dans la répression du soulèvement du début de l'année, la police a largement déserté les rues après la chute du régime.

Son retour se fait de manière progressive et timide, souvent avec l'aide de la police militaire reconnaissable à ses bérets rouges, mieux considérée par la population.

Mais de nombreuses voix s'élèvent pour dénoncer sa passivité face aux criminels, ainsi que la menace, quand elle agit, de voir se reproduire les méthodes du passé -abus de droit, violences, tortures, impunité etc...

L'écrivain Alaa al-Aswani, auteur du best-seller "L'immeuble Yacoubian", a dénoncé cette situation dans un article choc publié par le quotidien Al-Masry al-Youm, sous le titre "Qui peut sauver l'Egypte des hommes de la police?".

"Les voyous et les criminels relâchés des prisons (durant la révolte) attaquent les citoyens, et les policiers se contentent de regarder comme s'ils voulaient dire aux Egyptiens: +Vous avez voulu faire la révolution contre la répression policière, et bien maintenant oubliez la police et défendez-vous vous-mêmes", écrit-il.

Hossam Bahgat, directeur de l'Initiative égyptienne pour les droits individuels, une des principales ONG égyptiennes, a souligné le défi de bâtir un Etat de droit en héritant d'une police qu'il faut réformer et purger, mais aussi mobiliser et remettre en confiance.

"Il ne faut pas minimiser les crimes de la police", mais "nous devons traiter ce problème sans saper les bases de l'Etat de droit et de la société démocratique", affirme-t-il dans le journal Al-Chorouq.

L'organisation américaine HRW a également appelé le pouvoir égyptien à engager des réformes "pour être sûrs que les exactions commises par le passé par les services ne se reproduiront pas".

Le ministre de l'Intérieur, Mansour el-Issawi, a semblé vouloir ménager tout le monde, dans une récente interview à la radio.

Le ministre a assuré que "des mesures fermes seront prises à l'encontre des policiers qui ne font pas leur travail", en référence aux innombrables témoignages d'agents de police restant bras croisés face aux infractions et aux délits.

Dans le même temps, il s'est employé à redonner confiance à ses troupes, en promettant des centaines de voitures de police neuves et de meilleurs salaires.



jeudi 26 mai 2011

Egypte: Une "archéologue spatiale" découvre 17 pyramides perdues

Le Dr Sarah Parcak, de l’université d’Alabama (Etats-Unis) est "archéologue de l'espace", spécialisée en égyptologie. De nouvelles technologies lui ont permis de découvrir 17 pyramides perdues et de révolutionner sa discipline. De quoi faire passer Indiana Jones pour un "has been". 


Le site de Saqqara a été le théâtre de découvertes extraordinaires par l'équipe de Sarah Parcak


"Excaver une pyramide est le rêve de tout archéologue", explique Sarah Parcak à la BBC. En suivant cette théorie à la lettre, on peut écrire que l’égyptologue va réaliser son rêve… 17 fois.

En effet, ses recherches ont bel et bien permis de révéler 17 pyramides jusqu’ici inconnues, à Saqqara. Plus de 1000 tombes et 3000 bâtiments ont également été découverts par son équipe sur ce site moins connu mais plus ancien que le célèbre site de Gizeh. 

Indiana Jones définitivement ringardisé

Pour définitivement ringardiser le héros de Spielberg, précisons que Sarah Parcack est ce que la BBC qualifie d’ "archéologue de l'espace" (space archeologist). En effet, l’équipe menée par l’Américaine utilise des images de satellites, en orbite à 700 km de la surface terrestre, équipés de caméras de haute précision, capables de distinguer, au sol, des objets de moins d’un mètre de diamètre.

L’imagerie infrarouge ayant, elle, permis de différencier les différents matériaux présents sous la surface.

"Indiana Jones est de la vieille école, nous sommes passé à autre chose, désolée Harrison Ford", ironise Sarah Parcak.

En effet, les maisons de l’Egypte ancienne sont construites en briques d’argile, un matériau beaucoup plus dense que le sol qui l’entoure. De telle manière que la forme des maisons, temples et tombeaux peut être distinguée via les images infrarouges issues des satellites.

Cette nouvelle technologie a repoussé les limites de l’archéologie de papa. Cet outil "nous donne une bien plus large perspective sur les sites archéologiques", explique le Dr Parcak. Car dans l’archéologie "classique", lorsque vous devez "faire face à un site massif, vous ne savez pas par où commencer", poursuit-elle sur le site d’information britannique

Les autorités égyptiennes pas intéressées initialement

Dans un documentaire qui sera diffusé par la BBC lundi 30 mai, intitulé les "Cités perdues d’Egypte", on suit l’expédition de Sarah Parcak dans le pays des Pharaons.

Si les autorités égyptiennes n’étaient au départ pas convaincues par les recherches de l’archéologue spatiale, les excavations à Tanis ont été un déclic décisif.

"Une maison vieille de 3000 ans que l’imagerie satellite avait révélée a été exhumée et les contours de la structure correspondaient presque parfaitement aux images du satellite. Ce fut une véritable validation de la technologie", explique la cheffe du projet.

Une technologie qui ouvre de nouvelles perspectives puisque les sites dont il est ici question, ne sont  "que des sites proches de la surface. Il y a des milliers d’autres sites qui ont été couverts par le limon du Nil. Ce n’est que le début de ce genre de travaux", s'enthousiasme la chercheuse américaine.



Julien Vlassenbroek



mercredi 18 mai 2011

Egypte: Suzanne Moubarak promet de remettre sa fortune à l'Etat


LE CAIRE — Suzanne, l'épouse du président égyptien déchu Hosni Moubarak, a promis lundi de remettre sa fortune à l'Etat, quelques jours après avoir été placée en détention préventive dans le cadre d'une enquête pour corruption, a rapporté l'agence officielle Mena.

"Suzanne Thabet, l'épouse de l'ancien président Hosni Moubarak, a fait trois procurations à Assem al-Gohari, chef de l'Autorité des gains illicites (du ministère de la Justice, NDLR), l'autorisant à retirer l'argent de comptes dans (deux banques) et à vendre une villa qu'elle possède" au Caire, a indiqué Mena.

Suzanne Thabet, 70 ans, est en observation à l'hôpital de Charm el-Cheikh, sur la mer Rouge, où elle avait été admise vendredi après avoir été victime d'une crise cardiaque. Elle venait d'être placée en détention préventive dans le cadre d'une enquête sur sa fortune.

Mme Moubarak, toujours en soins intensifs, devait se voir poser un cathéter cardiaque, selon le directeur de l'hôpital de Charm el-Cheikh.

Son mari se trouve lui aussi en détention préventive dans ce même hôpital, sur la mer Rouge, après avoir également souffert d'un malaise cardiaque.

Chassé du pouvoir le 11 février par une révolte populaire, M. Moubarak est interrogé dans le cadre d'une enquête sur des soupçons de corruption ainsi que pour la répression meurtrière des manifestations qui réclamaient son départ.

Selon un bilan officiel, 846 civils sont morts dans les manifestations de janvier et février et plus de 6.000 personnes ont été blessées.

Le transfert en prison des époux Moubarak dépend de l'évolution de leur état de santé, selon les autorités.

La mise en détention de Mme Moubarak pour une période de 15 jours renouvelable a été décidée par l'Autorité des gains illicites. L'épouse de l'ex-président est accusée de s'être illégalement enrichie en abusant de la position de son mari.

Selon la Mena, les époux Moubarak ont signé pendant leurs interrogatoires des décharges en arabe, anglais et français levant le secret sur leurs comptes bancaires en Egypte et à l'étranger.

Les deux fils du couple, Alaa et Gamal, sont pour leur part en détention préventive à la prison de Tora, à la périphérie sud du Caire.

Les époux Moubarak, leurs fils et les épouses de ces derniers ont interdiction de quitter l'Egypte, leurs avoirs dans le pays ont été gelés.

Avant la révolte, Gamal était considéré comme le successeur désigné de son père, tandis qu'Alaa se concentrait sur les affaires.

De nombreux ministres de M. Moubarak, dirigeants de son parti politique et hommes d'affaires proches de l'ancien pouvoir, sont également sous le coup de mesures judiciaires diverses.

Deux anciens ministres -celui de l'Intérieur Habib el-Adli et celui du Tourisme Zoheir Garranah- ont été déjà été condamnés respectivement à 12 et 5 ans de prison pour malversations financières.



lundi 16 mai 2011

Syrie : Pourquoi Assad reste au pouvoir

Plusieurs manifestants ont encore été tués ce week-end dans le centre du pays.


La révolution syrienne ne faiblit pas, malgré le lourd bilan de 860 morts et 11.000 emprisonnés. Signe qui ne trompe pas : la ville de Hama, rasée en 1982 lorsque le père de l'actuel président Bachar al-Assad, Hafez, fit massacrer 25.000 islamistes, manifeste en masse. Et plusieurs quartiers de Damas sont en ébullition, y compris un quartier voisin de la résidence de Bachar. Les villes de Homs, Alep, Kamichli, Derbassyié, Lattaquié ou Baniyas, encerclée par 2.000 soldats, et même les zones kurdes du Nord manifestent de plus belle, bravant les répressions. Mais les rebelles syriens ne comprennent pas pourquoi l'on trouve des circonstances atténuantes à Bachar, alors que l'on a bombardé Kadhafi pour moins de morts. Y aurait-il deux poids, deux mesures ?

Pouvoir de nuisance


La réalité est que les relations internationales sont fondées sur des intérêts et un équilibre nécessairement imparfait entre les puissances. Or la Syrie n'est pas la Libye. Elle abrite le leader du mouvement terroriste palestinien Hamas, et est l'alliée de l'Iran et de la formation islamo-terroriste libanaise Hezbollah. Damas a donc un très fort pouvoir de nuisance que Kadhafi, détesté par ses anciens alliés arabo-musulmans, n'a plus.
Ensuite, si la Russie et la Chine soutiennent la Syrie, les Etats-Unis, Israël et l'Europe redoutent un changement de régime, car celui de Bachar apparaît « moins pire » qu'un Etat islamiste qui déclarerait la guerre à Israël pour récupérer le Golan occupé. Quant à la Turquie, elle ne veut pas sacrifier son récent accord de paix avec la Syrie (signé en 2004), qui a renoncé aux régions turques arabophones jadis réclamées d'Iskenderun et d'Antakya. D'où l'intervention du Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, qui, tout en appelant Bachar à écouter son peuple, estime qu'il ne faut pas lâcher son « ami ».

 

Sanctions inefficaces

 

Ajoutons que le désert libyen et la faible population libyenne se prêtent mieux à des frappes sans trop de dommages collatéraux que les zones urbaines densément peuplées de Syrie. Or les Etats-Unis et l'UE sont déjà enlisés en Afghanistan, en Irak et en Libye. Un front de plus paraît improbable. Enfin, selon l'opposante syrienne Randa Kassis, les Européens, naïfs, croient que Bachar est un « réformiste » mais qu'il est manipulé par son frère Maher, son cousin Rami Makhlouf, propriétaire de la plupart des entreprises de Syrie, et Ali Mamlouk, chef du renseignement. Pour toutes ces raisons, Bachar peut continuer à réprimer. Et les sanctions décidées contre la caste familiale au pouvoir sont encore plus inefficaces que celles qui n'ont rien donné en Iran et en Corée du Nord, deux alliés totalitaires de Damas...