Au Liban, en Egypte ou en Jordanie, la «révolte du jasmin» est au centre de toutes les discussions.
Signe que les populations sont ravies, les blagues ont commencé de fuser à travers tout le monde arabe à propos de la chute du président Ben Ali. La plus impertinente est venue du Liban et vise Michel Aoun, l’allié chrétien du Hezbollah, que l’on dit prêt à tout pour parvenir au pouvoir : «Savez-vous pourquoi les Tunisiens sont redescendus dans la rue et ont réclamé le retour de Ben Ali ? Non ? Parce qu’Aoun a annoncé qu’il voulait se présenter à la prochaine élection présidentielle tunisienne.» A Beyrouth aussi, la chute de Ben Ali est au centre des conversations. Un micro-trottoir dans quelques capitales arabes, diffusé hier par la télévision qatarie Al-Jezira, montrait que l’onde de choc tunisienne dépassait largement le Maghreb. «Si les régimes arabes ne donnent pas de droits à leurs peuples, ils vont subir le même sort qu’en Tunisie», prédisait un Égyptien. Une jeune femme renchérissait : «C’est dans la rue que doit se retrouver l’opposition.» A Oman, on soulignait qu’une telle révolte «n’était pas arrivée dans le monde arabe depuis mille ans». Dans les Émirats arabes unis, en revanche, les sentiments étaient plus mitigés.
«étincelle». C’est de Jordanie qu’est venue la première réaction visible, avec des manifestations vendredi contre la vie chère dans plusieurs villes, dont Amman, avec des slogans sans équivoque : «Salutations aux Tunisiens» ou encore «2011, année des changements dans le monde arabe». Elles n’ont réuni, selon les organisateurs, que 8 000 personnes. Dès mardi, le gouvernement jordanien avait annoncé le déblocage de 150 millions d’euros pour des mesures visant à baisser les prix et créer des emplois. Dans la Syrie voisine, les autorités ont décidé d’augmenter les aides au chauffage dont bénéficient deux millions de personnes, et le président Bachar al-Assad reçoit depuis une semaine tous les corps constitués pour s’assurer de leur fidélité au régime. Mais c’est surtout l’Egypte qui retient l’attention. Le Conseil supérieur de défense a exigé des ministres qu’ils arrêtent «les déclarations incitatives sur la crise tunisienne». De son côté, l’imam d’Al-Azhar, cheikh Al-Tayeb, la plus haute autorité de l’islam sunnite, a jugé légitime le renversement d’un chef d’Etat corrompu.
«Evidemment, souligne Michel Noufal, responsable du quotidien libanais Al Moustaqbal (pro-Hariri), on pense aux répercussions possibles en Egypte, au Soudan aussi, après la sécession du Sud. Mais il y a une spécificité de la Tunisie : le bois était très sec, il ne manquait que l’étincelle - les conséquences de la crise en Europe.» «L’Egypte, aussi, était proche d’une telle situation. Avant les attentats contre les églises, on remarquait beaucoup de violences dans la rue et après les élections [truquées, ndlr], le pays semblait être un bateau à la dérive, ajoute le journaliste libanais. C’est pourquoi, je crois qu’Amn al-Daoula [la sécurité de l’Etat] est derrière ces attentats. Pour dévier l’attention de la population et transmettre un message aux Occidentaux : ce n’est pas le moment de faire pression sur nous pour plus de réformes et de démocratie.»
Qui-vive. Pour l’analyste Khattar Abou Diab, basé à Paris, «un mur psychologique s’est effondré dans le monde arabe» : «D’autant plus que personne ne s’attendait à un effondrement du régime aussi rapide. C’est l’événement le plus important depuis la décolonisation et, comme pour la chute du mur de Berlin, cela arrive par surprise. Désormais, plus rien n’est impossible. Il y a un avant Tunis et un après. Tous les régimes arabes en tireront des enseignements. Il est probable que la succession de Moubarak va être modifiée. Mais la contagion tunisienne ne sera pas massive. Elle se fera au coup par coup.»
A présent, la plupart des dirigeants arabes sont sur le qui-vive, et aucun ne s’est félicité de la chute de Ben Ali. Même Damas, qui a cependant fait saluer l’événement par Al Watan, un quotidien proche du pouvoir : «C’est une leçon qu’aucun régime arabe ne devrait ignorer, en particulier ceux qui mènent la même politique que celle de la Tunisie et comptent sur "les amis" pour les protéger.» A l’inverse, Muammar al-Kadhafi a osé saluer l’autocrate déchu : «Vous [les Tunisiens] avez subi une grande perte. Il n’y a pas mieux que Zine [el-Abidine Ben Ali]. Je n’espère pas seulement qu’il reste jusqu’en 2014, mais à vie.»
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