vendredi 7 janvier 2011

" Le mal est en Egypte "

 
Le Point : Les musulmans et les coptes ont vécu ensemble pendant des siècles sans heurts. Pourquoi sont-ils victimes aujourd'hui d'une telle violence ?

Henry Laurens : Ces conflits religieux sont à mon avis les produits de la modernité. Alors que les coptes avaient participé à l'aventure de la modernisation de l'Egypte au XIXe siècle et y avaient gagné leur émancipation, des tensions fortes sont apparues avec les musulmans dès le début du XXe siècle sous l'occupation britannique. Il s'agissait alors de définir le nationalisme égyptien. Les coptes le plaçaient dans la continuité des pharaons, ce qui faisait d'eux les vrais Egyptiens tandis qu'une frange des nationalistes le définissaient nettement comme islamique. En 1910, le Premier ministre copte Boutros Ghali Pacha a été assassiné. Mais, de 1919 jusqu'à la révolution nassérienne, en 1952, pendant cette période que l'on a appelée l'Egypte libérale, les coptes ont été partie prenante de la vie politique et des députés chrétiens étaient souvent élus par des musulmans. Le régime nassérien va certes marquer leur effacement politique et économique, du fait notamment des nationalisations, mais, sur le plan religieux, il les a protégés. Il a ainsi accompagné le retour en Egypte des reliques de saint Marc, le fondateur de l'Eglise copte, jusque-là à Venise. Et, sur le plan spirituel, ces années ont été marquées par un véritable renouveau intellectuel, notamment dans les monastères. C'est sous Sadate que les tensions confessionnelles sont réapparues.
 
A cause du développement de l'islamisme ? 
 
Oui, qu'Anouar el-Sadate a encouragé, pour mieux se débarrasser de la gauche socialiste nassérienne, l'islamisme que le régime de Moubarak n'a pas vraiment combattu. Sa stratégie a plutôt été de lui laisser le champ libre tant qu'il ne s'attaquait pas à son pouvoir. D'où une réislamisation intense du pays, favorisée d'ailleurs par l'immigration de nombreux Egyptiens dans les pays du Golfe.
 
Mais l'islam égyptien, même s'il est très conservateur, n'est pas pour autant systématiquement violent... 
 
Non, bien sûr, mais il a profondément transformé les relations entre les deux communautés, notamment parce qu'il se veut un retour à la lettre de l'islam et refuse la superstition, l'aspect magique du culte populaire. Or les coptes et les musulmans avaient souvent les mêmes saints, les mêmes pratiques : un musulman pouvait invoquer un saint chrétien, et vice versa. Ce lien a été brisé, et les communautés se sont refermées sur elles-mêmes. A partir des années 80, Le Caire, Alexandrie et la vallée du Nil ont connu de fortes tensions. Des islamistes ont ainsi essayé de s'emparer des biens de chrétiens pour financer leurs mouvements. Ces derniers temps, ce sont des cas de conversion qui ont posé problème. Des coptes optent en effet parfois pour l'islam afin de pouvoir divorcer, ce qu'interdit leur religion, mais, quand ils veulent revenir au christianisme, ils sont en situation d'apostasie, condamnée à mort par l'islam...
 
Mais les coptes ne sont-ils pas dans la même situation que tous les chrétiens d'Orient ? 
 
Pas exactement. En Liban, en Syrie, en Irak, en Palestine, les chrétiens appartiennent plutôt aux classes moyennes et bénéficient en général d'un niveau d'éducation supérieur aux musulmans. Ils ont aussi beaucoup de contacts avec l'Occident, du fait d'une émigration très ancienne. Ce n'est pas le cas en Egypte, où les coptes sont dans leur majorité très modestes, souvent des paysans pauvres. L'attitude du pouvoir est différente également. En Syrie, le régime se présente comme le protecteur des chrétiens. En Egypte, les coptes sont très discriminés : ils n'ont pas accès à une bonne part de la fonction publique et ne peuvent construire des églises sans autorisation préalable, qui leur est le plus souvent refusée...
 
Doit-on craindre leur disparition d'Egypte ? 
 
C'est difficile à dire. Il faudrait déjà savoir combien ils sont réellement. On avance souvent le chiffre de 10 %, mais il n'existe pas de données statistiques. La grande masse a le même rythme démographique que le reste de la société. Ce qui est sûr, c'est que l'Egypte ne connaît pas la situation de l'Irak, où la moitié des chrétiens sont partis en dix ans. L'émigration des coptes n'a commencé qu'il y a une quarantaine d'années, essentiellement vers l'Amérique du Nord, où s'est développé un fort mouvement de revendication.
 
Êtes-vous pessimiste ? 
 
Il est clair qu'entre les deux communautés le choc est devenu frontal. Les coptes revendiquent une dignité qui leur est refusée dans un pays où gagne un islam interprété de façon très littéraliste. De plus, le gouvernement peine à maîtriser une bonne partie du territoire, la vallée du Nil, mais aussi le Sinaï, ce qui favorise le développement du terrorisme islamiste. Hier, celui-ci s'attaquait aux seuls Israéliens et aux Occidentaux. Aujourd'hui, aux chrétiens égyptiens. Le gouvernement de Moubarak accuse des agents extérieurs d'être responsables de cet attentat. Mais le mal, à mon avis, est en Égypte. Le régime a beau invoquer l'unité nationale, il a perdu la confiance de la composante chrétienne de la population.


Propos recueillis par Catherine GOLLIAU
Henry LAURENS, professeur spécialiste du monde arabo-musulman au Collège de France.
 
 
 
 

1 commentaire:

  1. Les Coptes d'Egypte ont participé jeudi soir aux célébrations de la veille du Noël orthodoxe dans des églises sous forte protection policière, une semaine après l'attentat sanglant d'Alexandrie. Quelque 70'000 policiers ont été spécialement affectés à la surveillance des lieux de culte chrétiens. Au Caire, le patriarche copte Chenouda III a dirigé la messe en présence des 2 fils du président Hosni Moubarak. A Alexandrie, les fidèles sont venus par centaines dans la cathédrale endeuillée. En Europe et au Canada, le niveau de vigilance avait aussi été accru autour des lieux de culte coptes.

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