Le parti du président égyptien Hosni Moubarak va contrôler près de 83% de l'Assemblée après des législatives marquées par des accusations de fraude. L'ancien patron de l'AIEA, qui avait boycotté les urnes, voit son crédit renforcé.
«Mohammed ElBaradei avait raison, les autres auraient mieux fait de l'écouter.» Sur son ordinateur portable, Khaled, un jeune ingénieur, fait défiler photos et vidéos des fraudes et violences qui ont émaillé les législatives égyptiennes, que le Prix Nobel de la paix avait appelé à boycotter. Poil à gratter du pouvoir depuis son retour en Égypte au début de l'année, Mohammed ElBaradei entendait ainsi dénoncer le verrouillage du système politique et appeler à la démocratisation du pays. L'opposition n'a pas voulu le suivre, mais ses deux principaux mouvements, les Frères musulmans et les libéraux du Wafd, se sont rangés à son avis entre les deux tours en dénonçant l'ampleur des fraudes au profit du Parti national démocratique (PND), au pouvoir.
«Je ne veux même pas savoir si le PND a obtenu 90 ou 99 % des sièges, tout cela n'est qu'une mauvaise farce», précise Khaled. D'après les premiers résultats publiés par la commission électorale, les opposants auraient remporté une quinzaine des 508 sièges, contre plus de 419 au PND et une cinquantaine d'«indépendants». Selon des candidats malheureux du PND cités par la presse, le pouvoir en aurait pourtant été réduit dimanche à manipuler le vote à leurs dépens pour essayer de sauver les apparences en faisant élire quelques indépendants supplémentaires…
L'impression de quasi-parti unique fait en effet grincer des dents au sein du pouvoir. Certains responsables ne cachent pas qu'ils comptaient sur une présence accrue des partis laïcs, au détriment des islamistes, pour donner davantage de légitimité au régime avant la présidentielle de l'an prochain, qui pourrait marquer la succession de Hosni Moubarak. Mais le système clientéliste et la gestion du processus électoral par les services de sécurité ont ruiné ce plan bien huilé, exposant au contraire le pouvoir aux critiques internationales.
Aucun Égyptien ne se faisait d'illusions. «Si l'opposition avait eu une centaine d'élus, vous croyez que ça aurait changé quelque chose ?», demande Hatem, un étudiant. «Personne dans la classe politique ne s'intéresse à nos vrais problèmes. Regardez les Frères musulmans : ils sont populaires parce qu'ils aident les pauvres, mais au Parlement, ils n'ont pensé qu'à créer des polémiques.»
Justice sociale
Les problèmes, pourtant, sont aussi nombreux que visibles : pauvreté, surpopulation, éducation en lambeaux, système de santé à l'abandon, chômage endémique, inflation galopante… Même les «réformateurs» du PND qui, sous l'égide de Gamal Moubarak, le fils du président et son possible héritier, promettent régulièrement de s'attaquer au chantier, ne semblent pas savoir par quel bout prendre les choses. Exemple : le récent débat sur le salaire minimum. Il était de 35 livres égyptiennes (4 euros) depuis 25 ans. La justice a ordonné son passage à 1 200 LE, mais le gouvernement, inquiet des conséquences sur la fonction publique pléthorique, n'a accepté que 400 LE (50 euros), soit au-dessous du seuil de pauvreté, selon les critères de l'ONU.
C'est en réclamant plus de justice sociale, autant que des réformes politiques, que Mohammed ElBaradei a séduit un nombre croissant d'Égyptiens, notamment chez les jeunes. Marginalisé par la décision des autres opposants de participer aux législatives, l'ancien patron de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) est finalement le «seul gagnant» du scrutin, estiment ses partisans. Le retrait de l'opposition est «une nouvelle chance pour le changement et une réponse à la tentative d'enterrer notre liberté», a précisé l'intéressé sur Twitter. Alors qu'il était annoncé à l'étranger jusqu'à la fin du mois, Mohammed ElBaradei est rentré au Caire dimanche soir pour tenter de relancer une opposition plus que jamais en mal de leadership et de stratégie.
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