Interrogé par Nouvelobs.com, Jean-Noël Ferrié, directeur de recherche au CNRS, revient sur le premier tour des élections législatives en Egypte, remporté par le parti au pouvoir d'Hosni Moubarak.
La commission refuse catégoriquement les allégations de certains que les fraudes ont été le caractère dominant" du scrutin, a affirmé le porte-parole de la haute commission électorale, Sameh el-Kachef. Qu'en est-il réellement ?
-- Dans la mesure où la commission est somme toute liée à un dispositif de contention des Frères musulmans, il est difficile d'imaginer qu'elle prenne une autre position. Elle n'est tout simplement pas indépendante.
Les Frères musulmans égyptiens n'ont remporté aucun siège alors qu'ils contrôlaient depuis 2005 un cinquième du Parlement sortant. Comment doit-on interpréter ce résultat ? Leur influence chez les Égyptiens est-elle effectivement en forte baisse ou est-ce le résultat, comme ils l'affirment, de la volonté du pouvoir d'affaiblir leur représentation parlementaire avant l'élection présidentielle de 2011 ?
-- Ce résultat était recherché par les gouvernants qui avaient très mal pris le score des Frères musulmans lors des précédentes législatives. Il prouve leur capacité à contrôler strictement les élections, dès lors qu'ils s'en donnent les moyens. Il est également possible que les Égyptiens, qui avaient voté pour des Frères musulmans, soient mécontents de leurs prestations, comme cela arrive également avec les députés membres du parti au pouvoir.
En Égypte, le vote est d'abord utilitaire. C'est une conséquence de l'autoritarisme. On ne vote pas pour des idées ou des programmes parce que ce n'est pas possible. On peut, en revanche, choisir jusqu'à un certain point les hommes. On choisit alors les hommes susceptibles de rendre des services et on les sanctionne s'ils ne l'on pas fait. Il n'y a pas de raisons d'imaginer que la même relation ne se soit pas créée avec les Frères musulmans, et qu'une partie des électeurs, déçus par la faiblesse de leurs prestations, n'aient pas décidé de modifier leur vote. Soyons juste, minoritaire au Parlement, ils ne pouvaient rien faire. Opposants, ils n'accèdent pas aux avantages auxquels accèdent les députés de la majorité. Ceci dit, cette raison m'apparaît tout de même secondaire. La principale demeure le trucage.
Bien que l'issue du second tour ne fasse aucun doute, que cherche l'opposition en se retirant du scrutin avant son déroulement ? Espèrent-ils une rébellion des Égyptiens ? Une négociation avec le PND ?
-- Une rébellion des Égyptiens est totalement exclue. Ils n'y pensent pas et, à vrai dire, personne n'y pense. Les partis d'opposition ne représentent presque rien et presque personne. Le PND n'a donc aucunement l'intention - et n'aurait du reste aucun intérêt - à négocier avec eux. Ils tentent simplement de sauver la face. Ne pas participer, c'est ne pas étaler à quel point ils ne représentent rien. Pour l'essentiel, du reste, il s'agit de partis plus ou moins clientelisés par le PND.
On ne peut donc s'attendre à aucun geste d'apaisement de la part du PND d'ici le 5 décembre, date du second tour des législatives ?
-- Le PND n'a pas besoin d'apaiser une situation qu'il contrôle. Il peut simplement trouver plus politique de ne pas totalement exclure les Frères musulmans, maintenant qu'il s'est assuré qu'ils ne retrouveraient pas leur position de 2005.
Les États-Unis, par la voix de son du porte-parole du Conseil de sécurité nationale américain, Michael Hammer, se sont déclarés inquiets par "les informations sur des irrégularités dans les bureaux de vote, l'absence d'observateurs étrangers, des embûches imposées aux observateurs locaux, et des restrictions aux libertés d'association, d'expression et de la presse". Les États-Unis peuvent-ils remettre en cause leur soutien à Hosni Moubarak alors qu'il est leur allié dans la lutte contre le terrorisme islamiste ?
-- C'est très simple, entre la protestation des États-Unis et le risque de ne pas maîtriser l'élection présidentielle qui se profile derrière les législatives, le choix des gouvernants était simple et évident. Quelques remous sans conséquence d'un côté et une situation de tension de l'autre. Si je puis dire, il n'y a pas photo. D'autant qu'il est parfaitement connu que les Américains ne sont jamais allés au-delà de quelques remontrances prudentes et que même, s'ils allaient au-delà, ce serait moins gênant qu'une opposition islamiste encouragée par un bon résultat aux législatives.
L'Égypte est-il un allié si indispensable pour que les fraudes et les violences soient occultées ?
-- Je poserai la question autrement : est-ce que les fraudes et les violences ont vraiment une importance dans les relations internationales ? Certainement que non. L'Égypte n'est pas un allié indispensable mais ni les Frères musulmans ni la démocratie en Égypte ne sont des nécessités vitales pour aucun État qui ait son mot à dire dans les affaires du monde. Du reste, le régime est plutôt globalement modéré dans son autoritarisme. La conséquence est évidente : personne n'envisage sérieusement d'ouvrir une crise pour des élections truquées.
Vous indiquez que le pouvoir contrôle la situation. La presse et des observateurs égyptiens ont pourtant rapporté la mort de deux à quatre personnes. Il n'y-a aucun risque de voir le climat se tendre ?
-- La mort de quelques personnes ne contredit pas le contrôle de la situation. Contrôler la situation, pour le pouvoir c'est parvenir à éviter que ne soient élus des gens dont il ne veut pas. Il y arrive parfaitement. Et, si les électeurs protestent, ils ne l'emporteront pas. Donc le contrôle fonctionne. De plus, les morts sont souvent liés à des rixes entre les équipes électorales des candidats. Ces rixes ne sont pas à proprement parler politiques. Elles peuvent opposer les représentants de deux candidats appartenant au PND ou des indépendants.
La présidentielle de 2011 est en toile de fond de ces législatives. Y a-t-il un réel doute sur une nouvelle candidature d'Hosni Moubarak ?
-- Oui, il peut finalement vouloir laisser la place à son fils. Mais tout semble indiquer que nous allons vers une réélection. Une chose est certaine - si l'on met entre parenthèse la santé -, il a la maîtrise du choix.
N'existe t-il pas une aspiration à l'alternance après plus de 30 années de confiscation du pouvoir par Hosni Moubarak ?
-- Il n'y a pas d'alternance à laquelle aspirer, parce qu'il n'y pas d'opposition crédible. Il y a certainement un souhait global d'amélioration des choses, mais il est difficile de dire qu'il s'incarne dans une perspective politique. Ceci dit, on exagérerait si l'on disait que les Égyptiens étouffent sous Moubarak. Le régime pratique un autoritarisme plutôt modéré (du moins quand sa survie n'est pas en jeu). Hosni Moubarak a également quelque chose de rassurant. cela dit, la suite, la succession, le changement inquiètent.
Interview de Jean-Noël Ferrié, directeur de recherche au CNRS, spécialiste de l'Égypte, par Benjamin Harroch – Nouvelobs.com
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire