L’amendement de 8 articles suscite beaucoup de débats, voire une certaine confusion chez le citoyen qui, jusqu’à présent, n’arrive pas à fixer son choix. Etat des lieux.
Trois jours seulement nous séparent du référendum sur les amendements de 8 articles de la Constitution. Ce référendum, déjà prévu le 19 mars par le Conseil suprême des forces armées qui dirige le pays depuis la chute de l’ancien régime, a pour but de satisfaire rapidement les demandes des jeunes de la révolution. Pourtant, une forte opposition à ce référendum surgit actuellement non seulement chez les jeunes, mais aussi chez les experts constitutionnels et au sein des partis politiques. Dans les programmes télévisés, les journaux, et même dans la rue, tout le monde parle de ce référendum à l’origine d’une grande indécision. Les Egyptiens sont divisés en deux groupes, pour et contre le référendum. Pour ceux qui sont contre, ils sont divisés en deux camps. Le premier pense que malgré les changements de certains articles, il reste toujours des lacunes. Par exemple, l’amendement ne limite pas les pouvoirs du président de la République, ce qui va mener à une nouvelle dictature. D’autres estiment que la Constitution objet de réforme est à la base invalide et par conséquent, tout changement apporté à cette Constitution ne serait pas légal. Un troisième groupe, plutôt optimiste, pense qu’il faut accepter ces changements étant donné que le pays est en période de transition et que le nouveau président élu, lui, sera chargé de fonder une nouvelle Constitution.
Entre le oui et le non, le simple citoyen est perdu. Mais la seule chose dont il est sûr c’est que pour la première fois depuis 30 ans, il pourra voter sans que sa voix soit falsifiée. Ce qui bouleverse les simples citoyens c’est que chacun de ces groupes inclut de grands noms, des experts dans le domaine juridique et constitutionnel. « Il n’y a rien à dire à propos de ce référendum. Cette Constitution a perdu sa légitimité depuis la révolution. Il faut une nouvelle Constitution », explique Ibrahim Darwich, expert constitutionnel et membre du comité formé par l’ex-président, quelques jours avant son départ, pour amender la Constitution. Darwich a été écarté par le Conseil suprême des forces armées lors de la deuxième commission formée à cet effet. Celle-ci a été formée juste après le départ de Moubarak. Darwich explique que si on considère que la Constitution n’est pas tombée, on doit considérer que l’ancien régime n’est pas tombé non plus. Et par conséquent, le Conseil suprême des forces armées n’a pas de légitimité. « Cela d’après un point de vue constitutionnel et politique et non pas juridique, car la Constitution est un document politique. Et je suis parmi la minorité en Egypte qui a fait des études politiques et juridiques », affirme Darwich.
Il propose qu’en guise de solution soit formée une commission pour élaborer une nouvelle Constitution, et aussi prolonger la période où le Conseil suprême des forces armées est chargé de gérer les affaires du pays. « Cette solution est un peu difficile, et ce n’est pas la responsabilité normale de l’armée, mais nous avons fait une révolution, nous avons perdu des centaines de martyrs et nous avons souffert pendant 30 ans. Donc, il ne faut pas aller trop vite », dit de son côté Samiha Al-Diyassri, vice-présidente du Parquet administratif. D’après Al-Diyassri, il n’est pas acceptable de rafistoler la Constitution, ce qui donne la chance à un retour à la vie politique sous Moubarak. La création d’une nouvelle Constitution est aussi le désir des auteurs de la révolution, qui ont déclaré dans un communiqué leur refus de ces amendements et ont exigé une grande manifestation (millioniènne) à la place Tahrir vendredi prochain, la veille de la date prévue du référendum, pour appuyer leur demande. La même attitude a été prise aussi par plusieurs partis, dont le néo-Wafd, le Rassemblement et le Parti nassérien ainsi que le Comité national du changement dirigé par Mohamad ElBaradei. Même Amr Moussa, un des candidats à la présidence, a demandé de boycotter le référendum.
La Constitution, une longue histoire
La première Constitution égyptienne a été adoptée en 1882, à l’époque du khédive Tewfiq, et a été annulée lors de l’occupation britannique de l’Egypte. Ensuite, une autre Constitution a été adoptée en 1923 après la révolution de 1919 et une troisième en 1930, la pire dans l’histoire égyptienne. En 1932, la Constitution de 1923 est revenue et a été maintenue jusqu’à la révolution de 1952. Cette dernière a formé une commission pour faire une nouvelle Constitution qui a été adoptée en 1956. Ensuite, une autre Constitution a été établie après l’union avec la Syrie en 1958 et elle a été suspendue en 1964. Et le 11 septembre 1971, la Constitution actuelle a été adoptée et a subi plusieurs amendements dans les années 1980, 2005, et 2007 (lire page 5). Mais tous ces amendements ne faisaient en réalité qu’étrangler l’espace de liberté et diminuer la possibilité de la concurrence honnête aux élections présidentielles en faveur d’une minorité.
Un point de vue plus équilibré
Mais la création d’une nouvelle Constitution n’est pas le but de tous les opposants. Certains d’entre eux trouvent qu’il faut simplement éclaircir certains articles et en ajouter d’autres. « Je trouve que les critères de candidature d’un député sont beaucoup plus durs et clairs que ceux du président de la République », lance Amr Hachem, chercheur au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram. Il trouve que les conditions de candidature à l’élection présidentielle ne sont pas suffisantes. Elles ne requièrent pas par exemple un diplôme universitaire pour le candidat à la présidence et l’accomplissement du service militaire. Alors que pour un député, ces conditions sont obligatoires. « Ainsi, n’importe qui peut se présenter aux élections présidentielles et ce sera le chaos », ajoute Hachem. Il trouve aussi que l’article 76 ne permet pas l’égalité des chances entre les candidats à la présidence. Pourquoi ? « Parce que cet amendement permet aux candidats de se présenter à travers trois options qui ne sont pas égales ».
La première option est de recueillir les 30 signatures de députés et de membres du Conseil consultatif « sans préciser que chaque député doit signer pour un seul candidat. Il faudrait indiquer que le député qui va soutenir plusieurs candidats sera sanctionné ». La deuxième option est de recueillir la signature de 30 000 personnes qui ont le droit de voter dans 15 gouvernorats différents, dont au moins 1 000 signatures pour chaque gouvernorat. « La troisième option est la pire, c’est de se présenter à travers un parti qui est représenté au Parlement ou au Conseil consultatif par un seul député. Comment mettre sur un pied d’égalité un candidat qui a fait le tour des gouvernorats et les partis politiques qui n’ont qu’un seul député ? Il faut rappeler que parmi les buts de la révolution figure l’égalité », explique Amr Hachem. L’amendement émet la condition que le futur président soit marié à une Egyptienne et qu’il ne soit pas porteur d’une autre nationalité que l’égyptienne. Or, là aussi il y a des critiques. Certains pensent que ces conditions réduisent les chances d’accès à la présidence d’une personnalité de la qualité d’Ahmad Zoweil.
C’est vrai que parmi les points contestés certains ont leur logique. D’autres sont dus au manque de confiance qui a été créé au cours des 30 dernières années. Mais personne n’est prêt à prendre le risque d’élaborer un article qui pourrait mener à l’avenir à une nouvelle dictature en Egypte. « C’est un problème de manque de confiance entre le peuple et l’Etat, même si celui-ci est représenté par le Conseil suprême des forces armées, et je trouve que ces soupçons sont justifiés », explique Yousri Al-Azabawi, chercheur au CEPS d’Al-Ahram. Il trouve que le but essentiel en ce moment c’est d’élire un président pour diriger le pays et recevoir le pouvoir des mains de l’armée, afin que cette dernière puisse jouer son rôle principal, surtout face aux conflits dans la région.
Il est à noter que l’armée, dès le premier jour, a annoncé qu’elle n’allait pas présenter un candidat à l’élection présidentielle et qu’elle ne cherchait qu’à transmettre le pouvoir le plus vite possible à une autorité civile, car ce qu’elle fait maintenant dans le pays n’est pas son rôle, et elle a des difficultés à le faire. « Il faut surveiller la sécurité du pays, surtout qu’on a presque 40 millions de personnes qui ont le droit de voter et il faut les sécuriser. On veut diminuer les dégâts de la révolution au niveau économique, donc, il faut que le cycle du travail reprenne », pense Al-Azabawi. Il répond à ceux qui disent que la Constitution peut être changée en un mois, surtout qu’il existe des Constitutions déjà prêtes. « On en a assez d’importer des modèles prêts qui ne conviennent pas à notre culture et à notre religion. Pourquoi se précipiter ? Nous voulons que le pays se relève pour cueillir les fruits de cette révolution intègre ».
Sobhi Saleh, un des membres de la commission d’amendement de la Constitution, se défend. « Nous sommes 85 millions d’Egyptiens. Il est impossible de mettre tout le monde d’accord sur un point. Puisque personne n’a protesté lors de la formation de la commission par le Conseil suprême des forces armées, cela veut dire que les gens font confiance aux membres de la commission. Pourquoi donc tout ce bruit autour des articles juridiques et constitutionnels ? Mais on peut plutôt discuter des articles et des conditions qu’on peut ajouter », affirme Saleh. Et d’ajouter que la Constitution n’est pas tombée, car l’armée a reçu le pouvoir suite à une proclamation constitutionnelle publiée le 13 février dans le journal officiel. Car, après la chute de Moubarak, la Constitution a été suspendue et elle n’est pas tombée.
Les experts qui soutiennent ce référendum demandent à élargir la vision en ce qui concerne l’article 75, qui exige que le candidat à la présidence soit né de parents égyptiens, marié à une Egyptienne et ne porte pas d’autre nationalité. Ce groupe avoue que cet article empêchera des personnalités brillantes de se présenter, mais d’un autre côté empêchera les Egyptiens qui se sont mariés à des Israéliennes de se porter candidats. C’est peut-être un point de vue à respecter, surtout que Ahmad Zoweil a déjà déclaré qu’il aimait son pays et qu’il était disposé à le servir de n’importe quel poste et même sans poste.
Quant aux protestations contre l’absence d’égalité dans les facilités données aux candidats dans l’article 76, « les gens disent qu’il n’y a pas de comparaison entre un candidat qui fait le tour des gouvernorats et un candidat issu d’un parti représenté par un seul député au Parlement. Or, si on admet que le candidat issu d’un parti représente sa circonscription, cela veut dire qu’il a obtenu au moins 20 000 voix parmi l’électorat de sa circonscription. Et là, on peut parler d’égalité », explique Sobhi. Et d’ajouter qu’en ce qui concerne les gens qui demandent à ce que le vice-président soit élu, la commission a trouvé que dans ce cas de figure, le pouvoir du vice-président sera équivalent à celui du président, en considérant que les deux sont arrivés à leur poste par voie électorale et qu’ils reçoivent leur légitimité du peuple. « Ils seront ainsi en tête-à-tête et peut-être qu’ils ne pourront pas travailler ensemble », explique Saleh.
Que faire ?
Maher Sami, vice-président de la Cour constitutionnelle et membre de la commission d’élaboration de la Constitution, affirme qu’il désire personnellement que le référendum porte sur chaque article à part et non pas sur l’ensemble de l’amendement. Le général Mamdouh Chahine, membre du Conseil suprême des forces armées, trouve cette proposition impossible car, d’après lui, « il faudra dans ce cas simplifier chaque article de l’amendement face à l’analphabétisme de plus de 17 millions d’Egyptiens ».
Situation complexe donc. Chacun a son point de vue et le citoyen ordinaire paraît confus et pourrait finalement boycotter le référendum pour en finir. Le message médiatique n’en parvient pas. Tout le monde parle des tribunaux, des articles et de la Constitution. Ce débat porte sur 8 articles seulement, alors qu’en serait-il pour toute une nouvelle Constitution ? Pourquoi ce manque de confiance alors que l’armée fait tout ce qu’elle peut pour répondre aux demandes du peuple. Il ne faut pas ignorer que pour la première fois, les Egyptiens pourront voter librement loin de la fraude.
Chérine Abdel-Azim
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