lundi 28 mars 2011

Syrie : La prison est "le prix à payer pour la liberté"


Alors que les autorités syriennes ont décidé dimanche d'abroger la loi d'urgence en vigueur depuis près de 50 ans, l'avocat syrien Haytham al Maleh, plusieurs fois condamné pour ses opinions et libéré de prison il y a trois semaines, témoigne. 

Après plus de dix jours de révoltes populaires, le président syrien Bachar al-Assad a annoncé, via sa conseillère politique et porte-parole, Bousseïna Chaabane, sa volonté de lever l’état d’urgence en vigueur depuis 1963 et de libérer 260 prisonniers politiques. 

Instaurée dès l'arrivée au pouvoir par un coup d'État du parti Baas en mars 1963, la loi d’urgence impose des restrictions sur la liberté de réunion et de déplacement, et permet l'arrestation de "suspects ou de personnes menaçant la sécurité". Près de 4 500 prisonniers politiques seraient toujours incarcérés en Syrie aujourd’hui pour délit d’opinion. 

Haytham al Maleh, avocat syrien reconnu et défenseur des droits de l’Homme, a passé plus de huit ans de sa vie en prison. À 79 ans, il a écopé l’année dernière d’une peine de trois ans de prison ferme après avoir été déclaré coupable par un tribunal militaire, en juillet 2010, d’"atteinte au sentiment national" et de "diffusion de fausses nouvelles susceptibles de porter atteinte au moral de la Nation". Lors de plusieurs interviews, il a critiqué le maintien de l’état d’urgence en Syrie ainsi que le contrôle permanent exercé par les autorités syriennes sur le pouvoir judiciaire.

Avant d’être libéré le 8 mars, à la suite d’une loi d’amnistie pour les prisonniers de plus de 70 ans ou les malades, Haytham al Maleh a entamé une grève de la faim à durée illimitée pour demander la fermeture du dossier des prisonniers politiques, la fin des injustices et le rétablissement des droits à une vie civile et politique en Syrie. 

Interviewé par France24.com, il revient sur son expérience en prison et livre son point de vue sur les protestions populaires qui agitent la Syrie depuis la mi-mars

Quelles ont été les conditions de votre incarcération ? 

Haytham al Maleh : Nous étions cinq prisonniers politiques mais nous n’avions pas le droit d’être ensemble. Alors on m’a mis avec les criminels. C’était très dur car, malgré mon âge et mon état de santé, on m’a enfermé avec des prisonniers de droits communs, des criminels qui n’ont rien dans la tête. Ils crient, se battent les uns avec les autres, cherchent la bagarre en permanence. Je ne pouvais ni lire, ni dormir. C’était vraiment éprouvant. 

Au début, je dormais à même le sol, avec 40 autres prisonniers dans une cellule de 6 mètres sur 15. J’ai été malade une fois, et pendant une semaine, je n’ai pas pu voir le médecin. Il y avait à peine 150 mètres à faire pour aller jusqu’au cabinet médical de la prison mais je ne pouvais pas mettre un pied par terre. C’est finalement un ami, enfermé dans le même quartier de la prison, qui a pris soin de moi, m’a soigné, m’a apporté des médicaments. Mais j’ai tout de même passé un mois et demi sans pouvoir marcher. 

Les ex-prisonniers politiques en Syrie sont en butte à des restrictions quant à leurs activités. Continuez-vous à exercer ?


H.M : On m’a enfermé pour mon discours et mes idées. J’ai écrit des articles sur la corruption, sur l’impunité des services secrets, sur le pouvoir. C’était nuisible pour les autorités, alors elles m’ont enfermé. Dans ma vie, j’ai passé plus de huit et demi en prison. La première fois, j’avais vingt ans, c’était en 1951 et j’exerçais déjà comme avocat. Et là, je suis sorti il y a trois semaines. J’ai 80 ans. Alors je ne vais pas m’arrêter là. 

Pourtant, c’est compliqué d’être avocat car il y a un certain nombre de lois et d’articles liberticides. L’article 69, par exemple, qui stipule que les agents des services secrets ne peuvent être poursuivis en justice. Alors il y a beaucoup de choses à changer mais jusqu’à maintenant, toujours rien de fait. Et j’ai bien peur que rien ne se passe.

Depuis que je suis sorti, j’ai repris le travail même si les autorités ont détruit mes bureaux. Mais les gens ont peur de venir me consulter. Des agents des services de renseignement montent la garde devant mon bureaux pour dissuader mes clients. Mais c’est ma vie, c’est mon combat. Je n’ai pas peur car je crois en dieu et tout ça, la prison, les manifestations, c’est le prix que nous avons à payer pour notre liberté.


Vous vous êtes battus toute votre vie pour les droits de l’Homme en Syrie qui est finalement rattrapée par le mouvement de protestation populaire. Pensez-vous que le pouvoir est prêt à lâcher du lest et écouter son peuple ?  

H.M : Avec toutes ces manifestations, les gens essayent de pousser le régime à leur donner des droits. Mais je ne suis pas sûr que le pouvoir lâchera. Les autorités n’hésitent pas à massacrer les opposants. Par exemple, entre 1980 et 1990, le régime a perpétué des dizaines de massacres. Plus de 70 000 personnes ont été portées disparues dans ces années-là. Plus de 20 000 agents des services secrets ont été mis en place, soi-disant pour surveiller les Frères musulmans. 260 000 Syriens ont dû fuir le pays et ils ne peuvent toujours pas rentrer. 

Nous sommes vraiment en danger et nous faisons en sorte d’éviter tout nouveau conflit car le moindre affrontement avec les autorités se finit dans un bain de sang. Nous avons d’ailleurs signé une déclaration il y a quelques jours pour demander qu’il n’y ait pas de conflit armé. En Syrie, nous sommes issus de différentes religions, différentes régions, mais nous sommes un même peuple qui se bat pour la liberté.  Nous ne devons pas nous battre les uns contre les autres. 

Sarah LEDUC





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