Une campagne de boycottage des produits israéliens a été lancée en France comme dans d’autres pays européens par des associations de solidarité avec la Palestine. Des organismes pro-israéliens ont déposé une plainte pour incitation à la haine raciale contre des personnalités soutenant cette campagne, dont la sénatrice écologiste Alima Boumediene-Thiery et l’ambassadeur Stéphane Hessel, ancien résistant et déporté en Allemagne et qui fut l’un des rédacteurs de la Déclaration universelle des droits de l’homme.
Le tribunal les a relaxés pour vice de forme, mais le dépôt de la plainte a créé un vif émoi en France, puisqu’il assimilait la campagne de boycottage des produits israéliens à une forme d’antisémitisme. Cette campagne n’est pas un danger économique pour Israël, ayant peu d’impact sur son commerce extérieur. C’est par contre une menace politique et symbolique. Tout d’abord parce qu’elle concerne des citoyens qui se mobilisent et dont l’action a un impact sur l’opinion publique. Mais surtout parce qu’elle implique une comparaison avec le boycottage des produits sud-africains au temps de l’apartheid.
Brandir l’accusation d’antisémitisme contre ceux qui critiquent le gouvernement israélien est une méthode ancienne et répandue. Elle a été très efficace, car l’accusation d’antisémitisme est infamante, surtout en Europe occidentale où le sentiment de culpabilité par rapport aux multiples massacres antisémites du passé, notamment le génocide nazi, est très fort.
Tous les sondages le confirment, les formes les plus vives de racisme concernent aujourd’hui les musulmans. Mais, disent certains, l’antisémitisme se réfugie désormais derrière la critique d’Israël. Il y a une assimilation faite entre antisémitisme, antisionisme et critique de la politique du gouvernement israélien. Ce sont pourtant des notions tout à fait différentes. La confusion qui est opérée à leur égard n’est pas innocente, elle vise à protéger le gouvernement israélien.
Il ne viendrait à personne l’idée d’accuser de racisme quelqu’un qui critiquerait le gouvernement américain, russe, chinois ou autre. S’élever contre la politique étrangère de George Bush par exemple en condamnant la guerre d’Irak, s’inquiéter de la situation des droits de l’homme en Chine ou du sort des Tchétchènes en Russie ne conduit pas à être accusé de racisme antiaméricain, antichinois ou antirusse. Si quelqu’un vient à critiquer l’action de Nicolas Sarkozy, on ne lui reprochera pas immédiatement de verser dans la francophobie. Il y a bien une spécificité israélienne en la matière. On confond très souvent à dessein l’opposition à la politique d’un gouvernement, la critique légitime qui peut en être faite, et une opposition à l’existence même de l’État ou une haine raciale contre son peuple.
Si critiquer l’action du gouvernement d’Israël est assimilable à de l’antisémitisme, alors il faut en conclure que de nombreux opposants israéliens et la plupart des organisations de défense de droits de l’homme de ce pays qui le font au quotidien sont antisémites et antisionistes. Ce n’est bien sûr pas le cas et c’est d’ailleurs très souvent au nom de l’idée même qu’ils se font du sionisme que ces organisations critiquent leur gouvernement.
De même, antisémitisme et antisionisme ne sont pas assimilables. L’antisionisme est l’opposition à l’existence de l’État d’Israël. Certes, il peut y avoir des antisémites qui sont également antisionistes, leur haine des juifs les conduit à refuser qu’ils puissent disposer d’un État. Mais il peut également y avoir des juifs qui sont antisionistes, soit parce qu’ils sont très à gauche (tradition du Bund) et estiment que les juifs doivent mener un combat politique dans leur pays d’origine, soit au contraire parce qu’ils sont très religieux et pensent que c’est offenser Dieu que de vouloir donner un État aux juifs. Ils refusent l’idée de l’État d’Israël au nom de la Torah.
Brandir l’accusation d’antisémitisme dès qu’on critique le gouvernement israélien est une stratégie pour garantir une impunité à ce dernier. Confondre volontairement antisémitisme, antisionisme et critique de l’action du gouvernement israélien est malhonnête intellectuellement et conduit à privilégier la défense de ce dernier au détriment de la lutte contre l’antisémitisme.
Pascal Boniface
Directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS)
Source : IRIS
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