vendredi 1 juillet 2011

Egypte : Les noctambules reprennent leurs droits

Couvre-feu . Depuis le 28 janvier et après 138 jours d’application, les forces armées ont décidé d’annuler cette mesure. Les Egyptiens, habitués à rester tard dans la rue, reprennent leur style de vie.

C’est un jeudi exceptionnel. Il est 2h du matin. Le 16 juin. C’est le premier week-end après l’annulation totale du couvre-feu. Cafés, restaurants, hypermarchés, magasins et petites échoppes continuent à ouvrir leurs portes et à accueillir des clients. La capitale semble reprendre son style de vie et les Cairotes sont là dans les rues pour célébrer cette liberté tant attendue. Embouteillages, agitation inhabituelle, un va-et-vient incessant de citoyens de tout âge. Une présence sécuritaire exceptionnelle, des klaxons qui arrivent de partout comme s’il s’agit de noces collectives. Une capitale en fête et un retour à la normale pour les Egyptiens qui, de nature, adore veiller, et se balader tard la nuit dans les rues du Caire. « Une bouffée d’air, le sang circule de nouveau dans nos artères », c’est ainsi que qualifie un père de famille la décision d’annuler le couvre-feu. 
 
A 2h du matin, aucun indice ne semble révéler que cette capitale ait connu un couvre-feu. Des visages souriants, un sentiment d’exaltation et de joie se lit sur les visages des passants. 

« On comptait les jours qui nous séparaient de cette date buttoir. Nous étions presqu’enfermés à la maison. La présence du couvre-feu avait un effet psychologique sur nous tous, car elle voulait tout simplement dire que la vie n’a pas encore repris son cours normal », dit Am Khaïry, fonctionnaire. Accompagné de sa femme et de ses deux filles, il s’est rendu sur le pont du 6 Octobre, a garé sa voiture et a fait la balade à pied avec sa famille. Ils se sont promenés au bord du Nil, respirant la brise de l’été. Comme s’ils étaient en train de découvrir de nouveau ce beau visage d’une capitale qui leur manquait tant. Une balade que cette famille avait l’habitude de faire durant les mois chauds d’été.
 
Une mesure discutée 

En effet, la décision d’annuler le couvre-feu a été prise par le Conseil suprême des forces armées suite à « une amélioration de la situation », comme l’a indiqué le communiqué publié par le Conseil. Imposé depuis le 28 janvier, le vendredi de la colère, après de violentes émeutes, le couvre-feu était en vigueur dans 3 grandes villes d’Egypte : au Caire, à Alexandrie et à Suez. Ces villes qui ont connu les confrontations les plus sanglantes entre les manifestants et les forces de sécurité. A l’origine, ce couvre-feu de larges horaires de l’après-midi, commençant à 15h et toute la nuit jusqu’à 6h du matin. Suite à une seconde réduction, il est interdit de se trouver dans les rues entre 17h et 7h du matin. Le 12 février, l’armée a allégé le couvre-feu de minuit à 6h. Ensuite, le couvre-feu a été réduit à trois heures, entre 2h et 5h.

Quelques jours après l’annulation complète du couvre-feu, Le Caire grouille de monde. On est sur le pont Qasr Al-Nil. Il est 3h du matin mais cela n’empêche pas les taxis de circuler et les vendeurs d’exposer leurs marchandises. On trouve de tout : jouets, fruits secs, friandises ou barbes à papa. D’autres offrent, lors de ces veillées nocturnes, du yaourt, des œufs et du sémit. Mohamad met sur sa tête un panier. Celui-ci, avant la révolution, était vendeur de tee-shirts et de serviettes à Al-Azhar, quartier touristique du Caire, mais il a décidé de changer de métier après la révolution, car plusieurs pays ont décidé d’évacuer leurs ressortissants vivant en Egypte comme les Etats-Unis, l’Australie, la France, la Chine et le Royaume-Uni aussi. 

« Termess ! Termess ! », crie un autre vendeur, proposant à ses clients ses lupins jaunes. « Notre revenu est aujourd’hui très modeste. Je gagnais entre 70 et 100 L.E. par jour avant la révolution. Je pense que l’annulation du couvre-feu fera revenir ces beaux jours », raconte Am Dahi, originaire d’Assiout, qui se déplace sur le pont de 6 Octobre depuis 30 ans. Les foules de passants présents dans la rue à cette heure semblent rassurer ce vieux vendeur. 

De l’autre côté du pont, le bruit des klaxons et des youyous annoncent l’arrivée d’un couple de nouveaux mariés. Ils sont originaires de Zawya Al-Hamra, un quartier populaire du Caire. Ils sont venus avec leurs frères, leurs amis et les jeunes qui veulent célébrer cet événement exceptionnel. Ce n’est pas par hasard s’ils ont choisi de le célébrer ce jour-là. « Nous avons profité de la levée du couvre-feu et nous avons l’intention de rester jusqu’à l’aube à danser dans la rue. Nous n’avons pas les moyens pour faire nos noces ailleurs. Le pont est un lieu idéal pour nous », dit Ragab, le jeune marié. De l’air frais, une vue sur le Nil et aussi la participation des passants. « On a d’ici le même panorama que celui des hôtels cinq étoiles qui donnent sur le Nil », poursuit-il, en se déplaçant avec sa femme pour prendre quelques photos avec la famille et les amis qui les accompagnent.

Non loin d’ici, à la place Tahrir, ou la place de la Libération, on a l’impression de mettre le pied dans un parc public. Des centaines de jeunes, des amoureux, des familles qui discutent, des enfants qui jouent au ballon ou à cache-cache. Certains vendeurs tiennent des drapeaux alors que des jeunes proposent aux enfants de leur dessiner le drapeau égyptien sur le visage contre une somme modeste. Au centre de la place, un jeune musicien, Magdi, chante des chansons patriotiques, au rythme de sa guitare. Sa voix mélodieuse donne plus de charme à la nuit. « Nous sommes vraiment au comble de la joie d’avoir l’opportunité d’assister à une telle soirée splendide en plein air après la levée du couvre-feu », disent les femmes. Portant une djellaba et un foulard noirs, Fatma est assise sur le sol et semble jouir de la musique. 

Tahrir place foraine 

Non loin d’elle, des jeunes viennent d’arrêter trois baltaguis qui tentaient d’embarrasser les passantes. Les jeunes de la place les ont suivis jusqu’à la rue Talaat Harb et les ont livrés à la police. 

En effet, la présence de la police se fait facilement remarquer cette nuit-là. A 1h du matin, ils ont dressé des barrières à l’entrée de certains quartiers et font des points de contrôle. 

Ali est un livreur à McDonald’s. Ce restaurant vient de reprendre ses horaires d’avant la révolution, à savoir 24 heures sur 24. Une décision qui inquiète ce jeune livreur qui devra circuler en moto tard la nuit dans les rues du Caire. « Durant le couvre-feu, nous étions obligés de passer la nuit au sein du restaurant. Je partais à 7h du matin. Nous avons complètement fermé nos portes le 28 janvier. Nous avons souffert de grosses pertes. Aujourd’hui, nous espérons que les choses changeront », dit Ali. « Aujourd’hui et après la fin du couvre-feu, on ouvre de nouveau 24h sur 24. Nos pertes ont atteint les 30 % en temps de crise », se plaint le directeur de l’antenne. 

A la rue Gameat Al-Dowal à Mohandessine, quartier huppé du Caire, toutes les échoppes sont ouvertes. Mais, la prudence est de mise. « Aujourd’hui, nous sommes plus optimistes même si les clients se font rares. Pour nous, le couvre-feu a été la cause de lourdes pertes économiques. L’été est pour nous une saison fructueuse. Notre principale clientèle est composée des touristes des pays du Golfe. Ces derniers sont habitués à se rendre dans le magasin après 2h du matin », raconte un propriétaire d’un magasin de chaussures à Gameat Al-Dowal. 

Le show de minuit

Devant le cinéma Al-Tahrir à Doqqi. C’est le spectacle Midnight. Un spectacle qui était annulé lors des cinq derniers mois. « Nous souhaitons que les clients reviennent. L’été est la saison la plus importante de toute l’année. Pourtant, on compte à peine 40 chaises sur un total de 160. Le pire est que les producteurs des films ont décidé de reporter la parution de leurs films, car ils ont peur des pertes », se plaint le guichetier.

Au sein du café Cilantro, situé à Midane Al-Messaha à Doqqi, les clients sont là. Les antennes situées à Zamalek, Mohandessine et Héliopolis et qui travaillaient 24h sur 24 ont repris ces horaires. « En moins d’une semaine et après la levée du couvre-feu, les fidèles de notre café, et surtout les veillées nocturnes sont de retour. Les taux de vente ont réalisé une hausse de 90 % ces derniers jours », précise le directeur du café. 

Devant le supermarché Metro, Magdi fait ses courses de la semaine tard la nuit. Durant le couvre-feu, ce supermarché fermait ses portes à minuit pour que les employés puissent se rendre chez eux avant 2h du matin. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Satisfait de ces nouveaux horaires, cet ingénieur, qui habite à Madinet Nasr, n’ose plus se rendre à Carrefour où il avait l’habitude de faire ses courses. « Situé sur l’autoroute de Qattamiya, il est très dangereux de s’y rendre à cause des baltaguis avec la présence timide de la police », explique Magdi. 

Sur sa page Facebook, le Conseil suprême des forces armées avait fait un sondage pour connaître l’avis des citoyens sur le prolongement ou l’annulation du couvre-feu. 54 000 ont considéré que le fait de le prolonger jusqu’aux élections présidentielles en décembre 2011 est une bonne idée, alors que 15 000 étaient en faveur de son annulation. 

Une chose est sûre : les choses ne vont pas changer du jour au lendemain et les Egyptiens vont mettre du temps pour se sentir en sécurité. 

C’est presque l’aube du vendredi, la famille de Hagg Hicham a décidé de terminer sa tournée dans les rues de la capitale par une pause café à la Tour du Caire. Ils contemplent le lever du soleil, respirent cet air de liberté et jettent un coup d’œil admirateur sur une capitale qui, malgré tous ses maux, a toujours cet art de fasciner.


 Manar Attiya




Egypte: "La révolution de la deuxième colère"

Les manifestants ne résistent pas à l'envoie de grenades lacrymogène, ce mercredi 29 juin 2011.Réunis devant le ministère de l'Intérieur,ils ont été repoussé par les forces de sécurité

 

Des heurts violents ont éclaté cette semaine entre des forces de sécurité et des manifestants au Caire. Les méthodes de répression rappellent celles utilisées par le régime passé.


Dans la nuit de mardi à mercredi ont éclaté des heurts dans le quartier d'Agouza, près du théâtre, où s'étaient réunies de nombreuses familles de victimes de la révolution du 25 janvier. Dès la tombée de la nuit, des groupes rejoignent la place Tahrir, épicentre de la révolution égyptienne. Les émeutes reprennent sur la place, avec une violence qu'on croyait révolue en Egypte. A l'origine de ce regain de violence et de colère, des heurts entre des policiers et des familles de victimes, réunis au théâtre d'Agouza pour réclamer le jugement des responsables de la répression.  

Les jugements tardent et exaspèrent de nombreux parents de martyrs, morts pour la liberté et la chute du système, plus de quatre mois après le départ d'Hosni Moubarak. La famille de Khaled Saïd a appris ce jeudi par la cour de justice d'Alexandrie, le report du procès des deux policiers incriminés dans la mort de celui qui était devenu le symbole de la violence du régime. Une décision qui conforte l'idée répandue que le régime passé est toujours là.  

Témoignage

Une jeune Egyptienne, témoin de cette explosion de violence, raconte... "Il est environ 18 heures. J'étais au sit-in des familles de victimes organisées à Maspero. Je trouvais l'endroit inhabituellement vide. J'ai appris qu'un groupe s'était rendu à une marche commémorative à Agouza. Je n'étais pas en mesure de déterminer qui avait organisé cette célébration et pourquoi des familles avaient décidé de quitter le sit-in pour se rendre à Agouza. A leur retour d'Agouza, un groupe a montré les images de la répression et raconté la violence des affrontements avec les forces de sécurité."   

Déclenchés par le refus des policiers de laisser entrer les personnes soutenant les familles des martyrs, les affrontements s'enveniment rapidement et gagnent en violence minute après minute. "Immédiatement la police est arrivée et a commencé à tirer des grenades lacrymogènes et à utiliser des Tasers contre les manifestants."  
 
Rendez-vous le 8 juillet

Depuis, les appels à manifester le 8 juillet ne cessent de circuler sur Facebook et dans les quotidiens égyptiens comme Masry al-Yioum et al-Chorouk(en arabe), qui titre sur "la révolution de la deuxième colère". Nombres de jeunes partis et de militants demandent aux Egyptiens de descendre place Tahrir et menacent de rester jusqu'à la démission du Premier ministre Issam Charaf et de son gouvernement chargée des affaires courantes. Le jugement public des symboles du régime passé, impliqués dans la mort de manifestants, figurent parmi les premières conditions des chabab (jeunes) de la place Tahrir.   

"Nous annonçons le début des manifestations ouvert jusqu'à la réalisation de l'ensemble des demandes de la révolution." Au regard de la violence utilisée contre les manifestants et les familles de martyr ce mardi, "la révolution n'a pas réussi et les droits restent pillés", conclut un militant dans le quotidien Masry al-Yioum.   

Répression digne du régime passé 

Ce regain de violence a aussi montré que les méthodes de répression ne changent pas, malgré la révolution. Mardi soir, le ministère de la Santé évoquait déjà plus de 1400 blessés au cours des affrontements. Les manifestants, interrogées par la chaîne Al-Jazeera ne comprennent pas que les armes associées au régime policier d'Hosni Moubarak soient à nouveau utilisées contre les manifestants.   

Le rendez-vous des législatives est encore loin pour de nombreux militants qui attendent des changements rapides au sein de la direction du pays, qui n'a rien de révolutionnaire.