Archéologie . A cause du manque de sécurité, les monuments du Caire islamique ont fait, eux aussi, objet de pillage. Certains sites ont subi de graves attaques depuis les premiers jours de la révolution. Bilan.
Le chaos et le manque de sécurité que le pays a connus depuis la révolution du 25 janvier ont causé de grands dommages sur plusieurs sites archéologiques. Les pillages sont légion sur tout le territoire national. Le patrimoine archéologique islamique riche n’en est pas épargné. Zahi Hawas, ministre d’Etat aux antiquités, a dressé un état des lieux très inquiétant, affirmant l’incapacité de son ministère à préserver les trésors archéologiques. Selon lui, le pillage a tout touché : les tombes, plusieurs entrepôts d’antiquités et des sites islamiques anciens de grande valeur. Mais, malheureusement, ces derniers n’ont pas eu la chance d’être aussi bien médiatisés que le pillage du Musée du Caire, des sites de Qantara-Est, des tombes de Saqqara et de Thèbes, et des entrepôts d’antiquités, dont l’un appartenant au Metropolitan Museum de New York.
En effet, plusieurs archéologues confirment que les pillages ont affecté aussi différents sites islamiques importants, dont la majorité se trouve dans Le Caire islamique. Beaucoup de sites de grande valeur dans d’autres gouvernorats du pays ont été aussi attaqués. Cela s’est fait de jour comme de nuit. Des gardiens et des inspecteurs auraient même été tués lors de ces attaques qui étaient parfois très violentes et bien organisées.
Les civils ont formé une chaîne humaine pour protéger quelques monuments islamiques au plus fort des manifestations. Cela a probablement permis d’éviter des dommages plus graves.
La maison Al-Ghouri était parmi les sites ayant fait l’objet de vol depuis les premiers jours de la révolution. Située dans la rue Al-Azhar, cette maison historique a été occupée par ses anciens propriétaires qui sont entrés par effraction. Les responsables du ministère d’Etat aux Antiquités prétendent que ces anciens propriétaires ont occupé par force la maison après avoir agressé le directeur de la région archéologique ainsi que trois des gardiens du site. « Les antiquités pharaoniques n’étaient pas les seules à souffrir des violations. Les monuments islamiques ont subi eux aussi des dégâts considérables. C’est le pire cauchemar que j’ai jamais vécu », estime Sayed Ismaïl, directeur des antiquités de la zone Nord du Caire islamique. En effet, la maison Al-Ghouri a été occupée par trois familles appartenant aux anciens propriétaires. Les trois familles se défendent : « Nous ne sommes pas des occupants. Nous sommes les vrais propriétaires de la demeure. On a des contrats. On nous a obligés à quitter notre maison sans aucun dédommagement. Après la révolution, tout le monde doit restituer ses biens pillés par l’ancien régime et ses assistants », explique Mahmoud, l’un des anciens propriétaires de la maison Al-Ghouri.
Le parking d’Al-Moez
La maison Al-Ghouri n’est pas le seul exemple. Un autre joyau islamique a été partiellement endommagé. Il s’agit de la station de police du quartier d’Al-Gamaliya, dont le bâtiment est classé monument islamique. Cette station se trouve dans la rue Al-Moez, l’un des endroits très prisés par les touristes. Celle-ci a été transformée en parking pour les voitures privées des commerçants et de quelques habitants du quartier. Vu son emplacement au cœur de la capitale, cette longue artère a été transformée depuis des années en rue commerçante et artisanale par excellence. Elle a été dallée et transformée en un superbe musée islamique à ciel ouvert, interdit aux véhicules. « Avant, l’accès à la rue Al-Moez, qui était une piétonnière, était interdit aux véhicules pour protéger ses monuments islamiques. L’entrée des véhicules était permise uniquement pendant la nuit, précisément de 22h à 8h. Aujourd’hui, les voitures sont garées partout, même sur le trottoir qui fait partie de l’enceinte des monuments de la rue », explique Sayed Ismaïl.
Récemment réaménagée et restaurée, la rue Al-Moez Lidine Allah Al-Fatémi, qui s’étend sur un kilomètre, est considérée comme le plus grand musée d’art islamique à ciel ouvert des monuments islamiques au monde. Elle est aux yeux des spécialistes le joyau du Caire islamique. En fait, la plupart des plus beaux monuments islamiques du Caire s’y trouvent. Ainsi, la rue Al-Moez abrite des monuments islamiques d’une splendeur et d’une beauté fascinantes : mosquées, madrasas, kottabs (écoles coraniques), palais, maisons, sabils (fontaines publiques), marchés, hammams, wékalas (caravansérails) et un bimarestan (hôpital) ... Classé patrimoine mondial en 1979, le quartier du Caire islamique regroupe plus de 200 édifices dont la majorité sont déjà restaurés. Ces monuments remontent aux différentes dynasties de la période islamique (ommeyade, fatimide, ayyoubide, mamelouke et ottomane).
Non loin de la rue Al-Moez, plus précisément à Gamaliya, la « qaa » (grand salon) d’Al-Dardiri a été elle aussi occupée par une famille. Mais, heureusement, elle a été libérée quelques jours après. « Ceux qui ont occupé la qaa d’Al-Dardiri n’étaient pas cette fois-ci leurs anciens propriétaires mais des baltaguis. Les inspecteurs archéologiques de la zone ont pu les convaincre de quitter l’édifice », souligne Ahmad Loutfi, inspecteur archéologique responsable de la maison Zeinab Khatoun. Il faut noter avec regret que la qaa Al-Dardiri est toujours fermée en dépit de l’achèvement des travaux de restauration depuis six ans environ. Son état est en fait lamentable. Après toutes ces dépenses sur les travaux de restauration qui ont été évalués à des millions de L.E., la qaa a été délaissée aux fantômes. La poussière s’entasse sur les murs et le plafond. Les ordures sont partout dans toutes les pièces de la qaa, sauf dans les deux ou trois pièces occupées par les baltaguis qui les ont apparemment nettoyées. Le ministère qui prétend sauvegarder et conserver les monuments égyptiens est pointé du doigt. Les édifices historiques islamiques ne sont-ils pas des monuments qui méritent la préservation ? « Il ne faut pas s’arrêter à la restauration des édifices historiques, puis les abandonner à leur sort. J’ai moi-même présenté un projet à l’ex-ministre de la Culture, Farouk Hosni, pour la réutilisation de la qaa d’Al-Dardiri, mais il l’a mis dans le tiroir ou l’a refusé. Par conséquent, la qaa a été délaissée pendant toutes ces années sans exploitation », ajoute Ahmad Loutfi.
Des pillages dans les provinces
Une très longue liste de monuments islamiques a fait l’objet de vol ou de violation. Des attaques auraient été aussi commises dans le Nord et le Sud du pays, à Tanta, Esna et Assouan. Un archéologue relate ainsi la manière forte utilisée par des hommes armés de pistolets mitrailleurs. Ils ont attaqué et tabassé les gardiens en faction devant la wékala (caravansérail) Al-Guédawi à Esna, affirmant qu’elle appartenait à leurs-grands parents. A Tanta, une bande de voleurs s’est introduite dans le sabil (fontaine) de Ali Bek et a volé 4 fenêtres fabriquées en cuivre. Ils les ont vendues sans attendre à des marchands de ferrailles. Ainsi, les inspecteurs et archéologues de Tanta ont fait le tour des marchands pour restituer les fenêtres volées, considérées parmi les joyaux de l’art islamique.
En fait, les dommages causés aux antiquités islamiques ne sont pas à ignorer, surtout que des archéologues signalent tous les jours de nouvelles violations sur des sites islamiques. Des indices qui révèlent l’état de précarité préoccupante de la quasi totalité des antiquités islamiques du pays.
Amira Samir
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