Considéré comme indétrônable il y a encore quelques mois, écarté du pouvoir début février, puis placé en résidence surveillée, l’ex-raïs a été arrêté et mis en détention provisoire mercredi. Décryptage.
Maître incontesté de l’Égypte pendant 30 ans, figure omnipotente du monde arabe et allié le plus précieux des États-Unis dans la région, Hosni Moubarak est désormais aux arrêts. Placé depuis mercredi, en détention provisoire de 15 jours pour enquête, il est poursuivi, à l’instar de ses fils Alaa et Gamal, pour la violente répression, début février, de la révolte ayant abouti à la chute de son régime, ainsi que pour détournement de fonds publics et abus de pouvoir. Il pourrait être condamné à une peine pouvant aller jusqu'à la pendaison s'il était reconnu coupable, ont rapporté les médias officiels vendredi.
Pression populaire
Cet énième rebondissement de la révolution égyptienne est tout aussi symbolique que la chute même de l’ancien président, obtenue par les manifestants de la place Tahrir du Caire, le 11 février. Cette étape constitue un tournant politique inattendu tant l’armée, actuellement au pouvoir, semblait aux yeux de certains irréductibles de la place Tahrir, résolue à protéger coûte que coûte l’ex-raïs. Ce dernier étant lui-même issu de ses rangs et considéré comme un héros de guerre. Soumis à une pression populaire intense, l’armée a fini par lâcher le président Moubarak et procéder à son arrestation.
"L’armée tient à son image, elle n’a pas voulu être perçue comme une force contre-révolutionnaire, d’autant plus que des slogans visant le pouvoir militaire, ont été scandés ces derniers jours place Tahrir", explique à France24.com Nabil Abd al-Fattah, politologue égyptien et directeur du Centre d’études sociologiques et historiques al-Ahram, situé au Caire. Les manifestants cairotes ont même conspué le maréchal Hussein Tantaoui, chef du Conseil suprême des forces armées (CSFA), à qui Moubarak a remis le pouvoir, laissant craindre un divorce définitif avec l’instance dirigeante. "La lenteur du processus de démocratisation et la persistance des manifestations ont fait monter les enchères des révolutionnaires qui s’inquiétaient de voir leurs acquis remis en question", observe Nabil Abd al-Fattah.
L’armée a-t-elle rompu un pacte avec l’ancien commandant des forces aériennes égyptiennes qui aurait accepté de quitter le pouvoir contre l’assurance de ne pas être poursuivi en justice ? "On n’est pas sûr de l’existence de cet accord, mais le pouvoir militaire aurait certainement préféré que Moubarak s’exile dans un pays arabe, à l’instar du président tunisien déchu Ben Ali, pour éviter de se retrouver dans la situation difficile de le juger et l’humilier", note Tamer ezz el Din, correspondant de FRANCE 24 en Égypte.
Rumeurs et contre-révolution
En réponse aux appels demandant son jugement, l’ex-président Moubarak, était sorti de son silence, dimanche, en faisant parvenir un message audio à la chaîne saoudienne Al-Arabiya, dénonçant des campagnes de diffamation contre lui et sa famille. Cette prise de parole a été perçue par les manifestants et certains cadres de l'armée comme "une provocation ", selon Nabil Abd al-Fattah. Vu la tournure des évènements depuis, "le discours de Moubarak s’est clairement retourné contre lui", poursuit le politologue.
Mais la pression populaire et la soif de justice n’expliquent pas à, elles seules, l’arrestation de l’ex-président Moubarak. Les nombreuses rumeurs sur la préparation d’une contre-révolution par des anciens cadres du régime et la possible fuite de Moubarak, aidé par certains pays du Golfe, ont contribué à alourdir le climat ces derniers jours et ont précipité l’arrestation de plusieurs ex-ministres et hommes d’affaires. Ces derniers font désormais l'objet de procès ou de mesures diverses telles que le gel de leurs avoirs et des interdictions de quitter le pays. "Le simple fait que certains hiérarques corrompus de l’ancien régime fussent toujours en liberté, représentait aux yeux des révolutionnaires une menace de retour en arrière", souligne le politologue.
Le jour même de l’arrestation du président déchu et de ses fils, certaines informations invérifiables, de l’aveu même de plusieurs observateurs égyptiens, faisaient état d’une tentative saoudienne d’exfiltrer Moubarak afin de lui éviter l’affront d’une arrestation et d’un jugement. Ce qui aurait déplu fortement à l’armée qui ne voulait pas être mise devant le fait accompli et être accusée de complicité par les manifestants. "L’armée n’a pas apprécié les informations faisant état de projets de faire fuir l’ex-raïs vers la ville de Tabouk, en Arabie saoudite, préférant se brouiller momentanément avec ces monarchies plutôt que de créer un chaos interne", conclu Nabil Abd al-Fattah.
Marc DAOU
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