mardi 29 mars 2011

L'Unesco veut que l'Egypte renforce le gardiennage des sites archéologiques


PARIS — L'Unesco va écrire aux autorités égyptiennes pour leur demander officiellement de renforcer le gardiennage des sites archéologiques du pays, a dit mardi Christian Manhart, chef de la section musées et objets culturels de cette agence de l'ONU.

"L'Unesco va faire une demande officielle au gouvernement égyptien pour qu'il renforce le gardiennage des sites par des gens armés", a déclaré M. Manhart qui a passé quatre jours sur le terrain la semaine dernière avec des experts de l'Icom (Conseil international des musées).

"La situation du patrimoine égyptien n'est pas aussi dramatique que ce que les médias ont pu dire", a affirmé M. Manhart.

Les vols ne semblent pas être le fait "de bandes organisées", selon lui. Les voleurs agissent plutôt "en dilettantes" et vont "là où c'est facile", a ajouté M. Manhart.

Le chef de la section musées de l'agence de l'ONU pour la science, la culture et l'éducation a rencontré les nouveaux responsables égyptiens en charge de la culture. Actuellement, le Conseil suprême des antiquités égyptiennes, longtemps mené par Zahi Hawass, est dirigé par un chef par interim.

Zahi Hawass, nommé brièvement ministre des Antiquités égyptiennes, a dû quitter son poste début mars.

A ce jour, 37 objets volés au Musée égyptien du Caire au moment du soulèvement populaire sont toujours manquants.

A Saqqarah, une grande partie des objets sont en sécurité dans deux grandes réserves mais "des objets mineurs ont été dérobés dans des réserves de missions archéologiques", selon M. Manhart. Et les villageois ont construit un cimetière sur la zone archéologique, dit-il en soulignant qu'il va falloir "remédier à cela".

A Guizeh, "c'est moins bien", a-t-il dit. Une grande réserve n'a pas été attaquée mais "plusieurs réserves ont été pillées et les autorités peinent à dire ce qui manque", selon M. Manhart.

A Louxor, "une bande armée d'une quinzaine de personnes ont pillé des réserves" et "cela semble assez sérieux", selon lui.




lundi 28 mars 2011

Syrie : La prison est "le prix à payer pour la liberté"


Alors que les autorités syriennes ont décidé dimanche d'abroger la loi d'urgence en vigueur depuis près de 50 ans, l'avocat syrien Haytham al Maleh, plusieurs fois condamné pour ses opinions et libéré de prison il y a trois semaines, témoigne. 

Après plus de dix jours de révoltes populaires, le président syrien Bachar al-Assad a annoncé, via sa conseillère politique et porte-parole, Bousseïna Chaabane, sa volonté de lever l’état d’urgence en vigueur depuis 1963 et de libérer 260 prisonniers politiques. 

Instaurée dès l'arrivée au pouvoir par un coup d'État du parti Baas en mars 1963, la loi d’urgence impose des restrictions sur la liberté de réunion et de déplacement, et permet l'arrestation de "suspects ou de personnes menaçant la sécurité". Près de 4 500 prisonniers politiques seraient toujours incarcérés en Syrie aujourd’hui pour délit d’opinion. 

Haytham al Maleh, avocat syrien reconnu et défenseur des droits de l’Homme, a passé plus de huit ans de sa vie en prison. À 79 ans, il a écopé l’année dernière d’une peine de trois ans de prison ferme après avoir été déclaré coupable par un tribunal militaire, en juillet 2010, d’"atteinte au sentiment national" et de "diffusion de fausses nouvelles susceptibles de porter atteinte au moral de la Nation". Lors de plusieurs interviews, il a critiqué le maintien de l’état d’urgence en Syrie ainsi que le contrôle permanent exercé par les autorités syriennes sur le pouvoir judiciaire.

Avant d’être libéré le 8 mars, à la suite d’une loi d’amnistie pour les prisonniers de plus de 70 ans ou les malades, Haytham al Maleh a entamé une grève de la faim à durée illimitée pour demander la fermeture du dossier des prisonniers politiques, la fin des injustices et le rétablissement des droits à une vie civile et politique en Syrie. 

Interviewé par France24.com, il revient sur son expérience en prison et livre son point de vue sur les protestions populaires qui agitent la Syrie depuis la mi-mars

Quelles ont été les conditions de votre incarcération ? 

Haytham al Maleh : Nous étions cinq prisonniers politiques mais nous n’avions pas le droit d’être ensemble. Alors on m’a mis avec les criminels. C’était très dur car, malgré mon âge et mon état de santé, on m’a enfermé avec des prisonniers de droits communs, des criminels qui n’ont rien dans la tête. Ils crient, se battent les uns avec les autres, cherchent la bagarre en permanence. Je ne pouvais ni lire, ni dormir. C’était vraiment éprouvant. 

Au début, je dormais à même le sol, avec 40 autres prisonniers dans une cellule de 6 mètres sur 15. J’ai été malade une fois, et pendant une semaine, je n’ai pas pu voir le médecin. Il y avait à peine 150 mètres à faire pour aller jusqu’au cabinet médical de la prison mais je ne pouvais pas mettre un pied par terre. C’est finalement un ami, enfermé dans le même quartier de la prison, qui a pris soin de moi, m’a soigné, m’a apporté des médicaments. Mais j’ai tout de même passé un mois et demi sans pouvoir marcher. 

Les ex-prisonniers politiques en Syrie sont en butte à des restrictions quant à leurs activités. Continuez-vous à exercer ?


H.M : On m’a enfermé pour mon discours et mes idées. J’ai écrit des articles sur la corruption, sur l’impunité des services secrets, sur le pouvoir. C’était nuisible pour les autorités, alors elles m’ont enfermé. Dans ma vie, j’ai passé plus de huit et demi en prison. La première fois, j’avais vingt ans, c’était en 1951 et j’exerçais déjà comme avocat. Et là, je suis sorti il y a trois semaines. J’ai 80 ans. Alors je ne vais pas m’arrêter là. 

Pourtant, c’est compliqué d’être avocat car il y a un certain nombre de lois et d’articles liberticides. L’article 69, par exemple, qui stipule que les agents des services secrets ne peuvent être poursuivis en justice. Alors il y a beaucoup de choses à changer mais jusqu’à maintenant, toujours rien de fait. Et j’ai bien peur que rien ne se passe.

Depuis que je suis sorti, j’ai repris le travail même si les autorités ont détruit mes bureaux. Mais les gens ont peur de venir me consulter. Des agents des services de renseignement montent la garde devant mon bureaux pour dissuader mes clients. Mais c’est ma vie, c’est mon combat. Je n’ai pas peur car je crois en dieu et tout ça, la prison, les manifestations, c’est le prix que nous avons à payer pour notre liberté.


Vous vous êtes battus toute votre vie pour les droits de l’Homme en Syrie qui est finalement rattrapée par le mouvement de protestation populaire. Pensez-vous que le pouvoir est prêt à lâcher du lest et écouter son peuple ?  

H.M : Avec toutes ces manifestations, les gens essayent de pousser le régime à leur donner des droits. Mais je ne suis pas sûr que le pouvoir lâchera. Les autorités n’hésitent pas à massacrer les opposants. Par exemple, entre 1980 et 1990, le régime a perpétué des dizaines de massacres. Plus de 70 000 personnes ont été portées disparues dans ces années-là. Plus de 20 000 agents des services secrets ont été mis en place, soi-disant pour surveiller les Frères musulmans. 260 000 Syriens ont dû fuir le pays et ils ne peuvent toujours pas rentrer. 

Nous sommes vraiment en danger et nous faisons en sorte d’éviter tout nouveau conflit car le moindre affrontement avec les autorités se finit dans un bain de sang. Nous avons d’ailleurs signé une déclaration il y a quelques jours pour demander qu’il n’y ait pas de conflit armé. En Syrie, nous sommes issus de différentes religions, différentes régions, mais nous sommes un même peuple qui se bat pour la liberté.  Nous ne devons pas nous battre les uns contre les autres. 

Sarah LEDUC





Egypte : Le oui triomphe, mais pour quelles raisons ?

 
Référendum . Le oui qui l’a emporté est largement accepté par l’ensemble des votants qui, en dépit de leur différence, décident d’aller de l’avant.

Les Egyptiens ont massivement voté « oui » lors du référendum sur la révision de la Constitution, validant ainsi les projets de l’armée en vue d’une transition rapide vers un pouvoir civil élu. 14 millions de votants, soit 77,2 %, ont voté en faveur des amendements de la Constitution contre un peu plus de 4 millions contre. Le taux de 41 % de participation — soit 18,5 millions de personnes sur 45 millions d’Egyptiens en âge de voter — est à comparer à l’abstention écrasante qui caractérisait les élections sous le régime autoritaire de Hosni Moubarak.
 
Ce résultat a été reçu avec satisfaction et joie par les islamistes notamment, tandis qu’il a été reçu avec tristesse par l’union des jeunes de la révolution du 25 janvier et nombre de partis politiques. Si le non l’avait emporté, une assemblée constituante aurait été élue pour élaborer une Constitution entièrement nouvelle. Cela aurait donc repoussé les élections législatives et présidentielles et la période de transition aurait pu durer jusqu’à deux ans. Les partisans du non disent que les amendements ne font que « rapiécer » la Constitution et qu’il y a un danger de retour à un régime autoritaire, notamment parce que celle-ci confère au président des pouvoirs très étendus. Les partisans du oui, eux, disent qu’ils veulent un retour immédiat à la stabilité et que les amendements (qui réduisent notamment les mandats présidentiels de 6 à 4 ans) sont suffisants. Des élections vont donc avoir lieu avant septembre, mais les bénéficiaires, disent les partisans du non, seront non pas ceux qui ont fait la révolution, mais les Frères musulmans (le groupe le plus organisé) et le Parti National Démocrate (PND, de l’ex-président Moubarak), qui n’a pas été dissous et qui continue, par le biais d’hommes d’affaires richissimes, à posséder de gros moyens financiers.

Beaucoup de politiciens estiment que lesdits amendements n’ont pas bénéficié d’un temps suffisant pour être discutés sereinement au niveau national. « Le référendum a eu lieu en dehors de tout vrai débat », critique Réfaat Al-Saïd, président du parti du Rassemblement (gauche). Il regrette également le fait que l’appartenance confessionnelle des votants a grandement influencé leur décision. « Certains ont réussi à convaincre les citoyens simples que dire oui (ou non) est une obligation religieuse », ajoute Al-Saïd. 
 
En filigrane figure l’article 2 de la Constitution que la révision ne prévoit pas de changer et qui fait de l’islam la religion d’Etat, et des « principes de la loi islamique la source principale de la législation ». « La division était politique, pas religieuse. Des musulmans ont voté oui, d’autres non, tout comme des chrétiens ont voté oui et d’autres non », a toutefois tenu à dire Essam Al-Eriane, porte-parole des Frères, refusant de renvoyer ce succès à des causes religieuses. 

Si jamais la religion fut un facteur important de l’issue de ce scrutin, elle n’a pas été le seul. Le besoin d’une certaine stabilité et d’un sentiment de sécurité est un autre élément important qui a encouragé les votants à voter en faveur des réformes. « Le référendum n’était pas sur les amendements des clauses de la Constitution. C’était un référendum sur la stabilité et la sécurité, car la plupart des votants ont trouvé que le fait de dire oui donne l’occasion au retour de la stabilité », explique Diaa Rachwane, chercheur au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram. Il ajoute qu’après des décennies de « dépolitisation », une grande partie des Egyptiens n’est pas prête à faire perpétuer la « révolution » sur des années et « est déjà satisfaite de ce qui a été réalisé ».

En tout état de cause, les partisans du « oui » comme ceux du « non » ont l’intention d’accepter le choix de la majorité. « Nous respectons les règles de la démocratie et nous avons décidé d’accepter le résultat du vote quel qu’il soit. Maintenant, ce que nous allons faire c’est de continuer le travail » vers plus de réalisations et de gains démocratiques, affirme Mohamad Adel, porte-parole du mouvement du 6 Avril. 

Déjà, on s’attend à une déclaration constitutionnelle de la part du Conseil suprême des forces armées libéralisant, entre autres, les lois sur l’exercice des droits politiques et sur la liberté de création des partis politiques.


Sabah Sabet 








Egypte : Une enquête s’impose


Arrestations arbitraires, tortures, traduction de civils devant des tribunaux militaires : tels sont les actes dénoncés par certains manifestants arrêtés par les forces armées. Plusieurs activistes et militants des droits de l’homme craignent pour « l’image » de l’institution militaire tant vénérée par la population. 
 
Sur Facebook et Youtube, les témoignages pullulent. Des personnes arrêtées au cours des deux dernières semaines et fraîchement relâchées, dans leur majorité de jeunes hommes et femmes, relatent leur supplice entre les mains de la police militaire. Ils disent avoir été cruellement battus, électrocutés, parfois sexuellement abusés et souvent accusés d’être des agents d’Israël ou du Hamas, dans « une campagne organisée d’intimidation ».

Dans beaucoup de cas, le lieu d’arrestation n’était autre que le Musée du Caire, en pleine place Tahrir. D’autres auraient été transférés vers des bases ou des prisons militaires qu’ils n’ont pas pu identifier. Des rapports d’ONG indiquent que des fouets et des bâtons électriques ont été utilisés contre les détenus, dont des journalistes, des militants des droits de l’homme et des avocats.

Des « accusations » catégoriquement rejetées par le Conseil suprême des forces armées. « L’armée reconnaît la légitimité de la révolution et a affirmé qu’elle n’aura recours en aucune circonstance à l’usage de la violence contre les manifestants. Tous les détenus ont été libérés immédiatement sauf les criminels qui ont été traduits en justice », a déclaré cette semaine à la presse le général Hamdi Badine, chef de la police militaire. Il met en garde contre « des tentatives de semer la discorde entre l’armée et le peuple » tout en affirmant que l’armée n’a aucun intérêt à saper la révolution. « Il ne s’agit que d’allégations et j’appelle ceux qui prétendent avoir été torturés par l’armée à déposer immédiatement une plainte en vue d’une enquête », indique le général. Et d’ajouter que l’Egypte est signataire de plusieurs conventions internationales interdisant la torture. « Les forces armées respectent ces engagements », affirme le général.

Pour leur part, les défenseurs des droits de l’homme ont du mal à ignorer les récits des personnes abusées. Gamal Eïd, président du Réseau arabe pour les droits de l’homme, se base sur les récits de ces derniers pour conclure que « l’armée menait une campagne pour en finir avec les manifestations ». « Les autorités militaires au pouvoir ne peuvent prétendre mettre en route des réformes tout en jugeant des manifestants pacifiques devant des tribunaux militaires », regrette-t-il.

« Les autorités militaires se sont publiquement engagées à créer un climat de liberté et de démocratie, après toutes ces années marquées par la répression du pouvoir. Elles doivent désormais traduire leurs paroles en actes directs et immédiats », a de son côté déclaré Malcolm Smart, directeur du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnisty international.

Le 9 mars, l’armée a décidé d’évacuer la place Tahrir. Des accrochages ont eu lieu alors que l’armée démantelait les tentes de quelques dizaines de manifestants qui y campaient toujours pour une raison ou une autre. Par la suite, le Conseil suprême militaire a expliqué qu’il s’agissait de disperser les manifestations sans aucune intention de s’engager dans des affrontements avec les manifestants. 

Néanmoins, Racha Azab, journaliste qui avait été détenue sur les lieux « lors d’une marche pacifique », raconte que les manifestants ont été pourchassés et battus par la police militaire (aux bérets rouges) en complicité avec des hommes de main avant d’être emmenés au musée. « Après que je fus menottée et attachée à un mur dans le musée, un homme en civil m’a giflée en me qualifiant de putain. Je lui ai demandé : Vous êtes de la police ou de l’armée ? ». Il a répliqué en me frappant une autre fois : « Nous sommes la nouvelle version des forces anti-émeutes. Croyez-vous que nous allons livrer le pays à des gamins et des putains comme vous ? », raconte Racha Azab, qui ne cache pas son choc de « constater que l’armée n’est pas différente du régime despotique de Moubarak ». Elle assure qu’à l’intérieur du musée, elle a assisté à la « torture brutale par des officiers de l’armée de centaines de jeunes détenus ».

Face aux multiples témoignages et à leur démenti systématique, certains militants des droits de l’homme, tel Négad Al-Boraï, appellent le Conseil suprême à l’ouverture immédiate d’une enquête en coopération avec les ONG, afin de couper le chemin aux éventuelles rumeurs et exagérations. « S’il s’avère que des militaires ont commis de tels actes, ils doivent être jugés », demande Al-Boraï, tout en estimant que la culture du respect des droits de l’homme prendra beaucoup de temps avant de s’enraciner dans la société.

Outre la torture, la traduction des civils devant des tribunaux militaires est également fustigée par les défenseurs des droits de l’homme. Ceux-ci ne trouvent aucune excuse qui puisse justifier des procès expéditifs rendant toute défense impossible. Selon l’Organisation de défense des manifestants (ONG), au moins 173 personnes seraient encore détenues par l’armée. Des dizaines ont été déjà jugées par un tribunal militaire pour « violation du couvre-feu », « détention d’arme » ou « troubles à l’ordre public ». 

Leurs peines varient entre 6 mois de prison à la prison à perpétuité (dans les cas de violence armée). La plupart des personnes arrêtées semblent parties pour 5, 10 ou 15 ans de prison. Ces verdicts ont été annoncés par la télévision d’Etat. Vu la nature du procès dont les décisions sont irrévocables et la défense est très restreinte, il est impossible de vérifier les accusations attribuées à telle ou telle personne, surtout que certaines personnes relâchées ont dit avoir été photographiées avec des armes et des cocktails molotov qui ne leur appartenaient pas. « C’est inadmissible même sous l’état d’urgence et sous prétexte de rétablir l’ordre de juger les civils devant la justice militaire. Et là, je me demande : pourquoi les ministres actuellement jugés n’ont-ils pas été déférés au tribunal militaire ? », critique Eïd

Ragea Omrane, avocate de l’ONG de défense des manifestants, dénonce le fait que les arrestations ne soient pas répertoriées et que les familles des détenus ne soient pas prévenues. « Ceci ne leur permet pas l’aide d’un avocat », regrette-t-elle. « Actuellement, nous travaillons avec d’autres ONG pour collecter les plaintes de toutes les familles qui soupçonnent la détention de l’un des leurs ou qui n’arrivent pas à rejoindre un membre détenu. Ces plaintes seront transmises ensuite au Parquet militaire avec une demande de fournir un avocat à chaque détenu », affirme Omrane. Des tentatives du genre ont déjà échoué par le passé, d’où l’idée d’un effort collectif qui rassemble un maximum d’ONG.


May Al-Maghrabi







Libye : Le scepticisme est de rigueur


L’intervention militaire dans ce pays suscite des appréhensions. Bien que la zone d’exclusion aérienne soit indispensable à la protection des civils, des doutes demeurent sur les véritables objectifs de cette nouvelle guerre.

La ligue arabe fait marche arrière. Au lendemain des frappes aériennes de la coalition internationale, la Ligue arabe qui était pourtant favorable à la résolution de l’Onu autorisant ces frappes, a critiqué les bombardements. Amr Moussa, secrétaire général de Ligue arabe, qui a plaidé la semaine dernière pour une zone d’exclusion aérienne et a apporté son soutien au peuple libyen dans sa lutte pour la liberté, a émis la première critique. « Ce que nous voulons c’est de protéger les civils et non pas bombarder plus de civils », a-t-il déclaré en faisant référence à une information donnée par la télévision d’Etat libyenne qui fait état de 48 morts et de nombreux civils blessés. Ces victimes seraient imputables aux frappes aériennes des forces de la coalition internationale. 
 
La fluctuation de l’opinion publique arabe reflète un dilemme qui a toujours marqué la psychologie collective des peuples de la région à l’égard de toute intervention militaire provenant de l’étranger. Dans ce contexte, la division qui a frappé la région lors de la deuxième guerre du Golfe revient à l’esprit.

Il n’en reste pas moins que la France, la Grande-Bretagne, les Etats-Unis, l’Italie et le Canada participent pour l’heure à l’opération baptisée « Aube de l’Odyssée », la plus grosse intervention militaire dans le monde arabe depuis l’invasion de l’Iraq en 2003.

Son objectif est, en application de la résolution 1973 adoptée par le Conseil de sécurité de l’Onu, de faire respecter une zone d’exclusion aérienne et un cessez-le-feu en Libye.

Le président Barack Obama a annoncé, samedi, avoir autorisé une action militaire limitée des forces américaines pour mettre en œuvre la résolution 1973. Il a aussi insisté sur le fait que les Etats-Unis ne déploieraient pas de troupes au sol en Libye.

Cependant, le colonel Muammar Kadhafi, qui a réprimé dans le sang l’insurrection partie de l’est du pays il y a un mois, a qualifié l’intervention de « coloniale » et a déclaré que la Méditerranée et l’Afrique du Nord étaient désormais un champ de bataille. « Il est désormais nécessaire d’ouvrir les dépôts et d’armer toutes les masses, avec tout type d’armes, pour défendre l’indépendance, l’unité et l’honneur de la Libye », a-t-il déclaré dans une allocution télévisée.

Des alliés régionaux peu nombreux
L’intervention des pays occidentaux, autorisée par l’Onu, a été critiquée par plusieurs pays occidentaux et arabes, dont la caution est essentielle pour l’Occident. La position du gouvernement turc est notamment restée très ambiguë sur la crise libyenne. Le premier ministre, Tayyip Erdogan, a souhaité dimanche que l’opération militaire en Libye s’achève au plus vite, tandis que son ministère des Affaires étrangères annonçait que la Turquie « fournirait une contribution pour résoudre la crise libyenne », sans préciser laquelle.
La Turquie a réclamé, dimanche, que l’Otan réexamine les plans opérationnels qu’elle prépare depuis des semaines estimant que l’intervention armée de la coalition a largement modifié la situation.
Une réunion des principaux dirigeants civils et militaires turcs est prévue lundi, à Ankara, pour examiner la situation. Nombre de diplomates redoutent que ces frappes, qui ont probablement déjà tué des civils, ne créent « un nouvel Iraq ».
L’Italie est restée relativement réticente à l’intervention armée sous sa forme actuelle. Elle a affirmé, lundi 21 mars, par la voix de son ministre des Affaires étrangères, Franco Frattini, qu’elle souhaitait vouloir vérifier la conformité des premiers bombardements avec la résolution de l’Onu. « Cela ne devrait pas être une guerre contre la Libye mais l’application intégrale de la résolution de l’Onu », a-t-il déclaré. « L’Italie a accepté de prendre part à la mise en œuvre de la résolution votée par le Conseil de sécurité afin d’obtenir un cessez-le-feu et de faire cesser les violences », a rappelé M. Frattini.
La Russie, qui n’avait cessé d’émettre des réserves sur les plans des Occidentaux en Libye, a vivement critiqué cette semaine l’ampleur des frappes menées dans ce pays, estimant qu’elles étaient effectuées de manière non sélective et faisaient des victimes civiles. « Il est inadmissible d’utiliser le mandat du Conseil de sécurité afin de mener à bien des objectifs qui vont clairement au-delà de ses dispositions, prévoyant uniquement des mesures pour protéger la population civile », a déclaré le porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Alexandre Loukachevitch.
Inspirés par la révolution pacifiste en Egypte précédée par la Tunisie, les peuples arabes ont cru entamer une démocratisation non sanglante. Mais la gestion des événements par Kadhafi a renversé cette hypothèse causant un dilemme, et exigeant davantage de sacrifices, voire même des risques d’effritement de ces pays.
Les pays arabes sont divisés sur l’intervention en Libye. La Tunisie a été assez critique sur l’intervention militaire internationale en cours contre le régime du colonel Kadhafi. Cette action représente pour ce pays une menace pour la région, qui risque de se transformer en une zone de tension et de devenir une base avancée des « forces impérialistes » qui n’ont pas intérêt à voir la région vivre un sursaut social révolutionnaire, nationaliste et démocratique, à en juger par leurs déclarations sur Oman, le Yémen ou Bahreïn.
Malgré tout, la Tunisie a approuvé l’intervention étrangère après maintes hésitations. Elle juge cependant qu’elle doit absolument rester dans le cadre de la résolution 1973. L’inverse serait synonyme d’invasion. Une opinion partagée par l’Algérie qui s’inquiète des frappes de l’Onu sur la Libye, soulignant que ce sont les avions de chasse français qui ont ouvert les hostilités.
L’Arabie saoudite, le Qatar et les Emirats arabes unis sont, pour l’instant, les seuls pays arabes à participer à la mission de la coalition internationale. Il était question d’un soutien de l’Arabie saoudite mais les relations entre Riyad et Washington se sont sensiblement refroidies ces dernières semaines. « L’Egypte n’a absolument pas annoncé qu’elle participerait à l’alliance militaire internationale contre la Libye, cela pour des raisons liées à notre sécurité intérieure et au grand nombre d’Egyptiens présents en Libye », a déclaré le chef de la diplomatie égyptienne, Nabil Al-Arabi. L’Egypte a, pour des raisons humanitaires, soutenu la résolution de la Ligue arabe demandant au Conseil de sécurité des Nations-Unies d’imposer une zone d’exclusion aérienne au-dessus de la Libye.

Inès Eissa






La Libye face à l’impérialisme humanitaire. Entretien avec Jean Bricmont

Kosovo, Irak, Afghanistan : les partisans d’une intervention en Libye n’auraient-ils pas retenu la leçon ? Jean Bricmont, auteur d’un ouvrage sur l’impérialisme humanitaire, nous explique pourquoi le droit d’ingérence est incompatible avec la paix dans le monde et dessert les causes humanitaires. A moins bien-sûr, que ces causes ne soient que des prétextes…



Pouvez-vous nous rappeler en quoi consiste l’impérialisme humanitaire ?
C’est une idéologie qui vise à légitimer l’ingérence militaire contre des pays souverains au nom de la démocratie et des droits de l’Homme. La motivation est toujours la même : une population est victime d’un dictateur, donc il faut agir. On nous sort alors les références à la Deuxième Guerre mondiale, à la guerre d’Espagne et j’en passe. Le but étant de faire accepter l’intervention. C’est ce qui s’est passé pour le Kosovo, l’Irak ou l’Afghanistan.


Et aujourd’hui, c’est le tour de la Libye ?
Il y a une différence car ici, une résolution du Conseil de Sécurité des Nations Unies l’autorise. Mais cette résolution a été votée à l’encontre des principes-mêmes de la Charte des Nations Unies. En effet, je ne vois aucune menace extérieure dans le conflit libyen. On a évoqué la notion de la « responsabilité de protéger » les populations, mais en brûlant un peu les étapes. De plus, il n’y a pas de preuves que Kadhafi massacre la population dans le simple but de la massacrer C’est un peu plus compliqué que cela : il s’agit plutôt d’une insurrection armée et je ne connais pas de gouvernement qui ne réprimerait pas ce type d’insurrection. Evidemment, il y a des dommages collatéraux et des morts parmi les civils. Mais si les Etats-Unis savent comment éviter de tels dommages, qu’ils aillent l’expliquer aux Israéliens et qu’ils l’appliquent eux-mêmes en Irak et en Afghanistan. Nul doute également que les bombardements de la coalition vont aussi provoquer des pertes civiles.
Je pense donc que d’un point de vue strictement légal, la résolution du Conseil de Sécurité est discutable. Elle est en fait le résultat d’années de lobbying pour faire reconnaître le droit d’ingérence qui se trouve ici légitimé.


Pourtant, même dans la gauche, beaucoup pensent qu’il fallait intervenir en Libye pour arrêter le massacre. C’est une erreur de jugement selon vous ?
Oui et pour plusieurs raisons. Tout d’abord, cette campagne établit le règne de l’arbitraire. En effet, le conflit libyen n’a rien d’exceptionnel. Il y en a beaucoup d’autres dans le monde, que ce soit à Gaza, à Bahreïn ou, il y a quelques années, au Congo. Dans ce dernier cas, nous étions dans le cadre d’une agression extérieure de la part du Rwanda et du Burundi. L’application du droit international aurait permis de sauver des millions de vie mais on ne l’a pas fait. Pourquoi ?
Ensuite, si on applique les principes de l’ingérence qui sous-tendent l’attaque contre la Libye, cela veut dire que tout le monde peut intervenir partout. Imaginons que les Russes interviennent à Bahreïn ou les Chinois au Yémen : ce serait la guerre généralisée et permanente. Une grande caractéristique du droit d’ingérence est donc le non-respect du droit international classique. Et si on devait modifier le droit international par de nouvelles règles légitimant le droit d’ingérence, cela déboucherait sur la guerre de tous contre tous. C’est un argument auquel les partisans du droit d’ingérence ne répondent jamais.
Enfin, ces ingérences renforcent ce que j’appelle l’ « effet barricade » : tous les pays qui sont dans la ligne de mire des Etats-Unis vont se sentir menacés et vont chercher à renforcer leur armement. On a vu ce qui s’est passé avec Saddam. Kadhafi avait d’ailleurs déclaré à la ligue arabe : « On vient de pendre un membre de cette ligue et vous n’avez rien dit. Mais ça peut vous arriver aussi car, si vous êtes tous des alliés des Etats-Unis, Saddam l’était aussi autrefois. ». Aujourd’hui, la même chose se reproduit avec Kadhafi et la menace qui pèse sur de nombreux Etats risque de relancer la course à l’armement. La Russie, qui n’est pourtant pas un pays désarmé, a déjà annoncé qu’elle allait renforcer ses troupes. Mais ça peut même aller plus loin : si la Libye avait l’arme nucléaire, elle n’aurait jamais été attaquée. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’on n’attaque pas la Corée du Nord. La gauche qui soutient l’intervention en Libye devrait donc bien se rendre compte que la conséquence de l’ingérence humanitaire est de relancer la course à l’armement et de créer des logiques de guerre à long-terme.


Cette intervention militaire contre Kadhafi ne serait-elle pas pourtant un moindre mal ?
Il faut réfléchir aux conséquences. Maintenant que les forces occidentales sont engagées, il est évident qu’elles vont devoir aller jusqu’au bout, renverser Kadhafi et installer les rebelles au pouvoir. Que va-t-il se passer alors ? La Libye semble divisée. S’il y a une résistance à Tripoli, l’Occident va-t-il occuper le pays et s’embarquer dans une guerre sans fin comme en Irak ou en Afghanistan ?
Imaginons quand-même que tout se passe bien : les coalisés se débarrassent de Kadhafi en quelques jours, les rebelles prennent le pouvoir et le peuple libyen est uni. Tout le monde est content et après ? Je ne pense pas que l’Occident va dire : « Voilà, on a fait ça parce qu’on est gentil et qu’on aime bien les droits de l’Homme. Maintenant, vous pouvez faire ce que vous voulez. ». Que se passera-t-il si le nouveau gouvernement libyen apparaît trop musulman ou ne limite pas correctement les flux migratoires ? Vous croyez qu’on va les laisser faire ? Il est évident qu’après cette intervention, le nouveau gouvernement libyen sera prisonnier des intérêts occidentaux.


Si l’intervention militaire n’est pas la solution, que faire ?
Il aurait déjà fallu essayer honnêtement toutes les solutions pacifiques. Ca n’aurait peut-être pas fonctionné mais là, il y a eu une volonté manifeste de rejeter ces solutions. C’est d’ailleurs une constante dans les guerres humanitaires. Pour le Kosovo, il y avait des propositions serbes très détaillées pour aboutir à une solution pacifique mais elles ont été refusées. L’Occident a même imposé des conditions qui rendaient toute négociation impossible comme l’occupation de la Serbie par les troupes de l’Otan. En Afghanistan, les Talibans ont proposé de faire juger Ben Laden par un tribunal international si on leur fournissait les preuves de son implication dans l’attentat du World Trade Center. Les Etats-Unis ont refusé et bombardé. En Irak, Saddam avait accepté le retour des inspecteurs de l’ONU ainsi que de nombreuses conditions extrêmement contraignantes. Mais ce n’était jamais assez. En Libye, Kadhafi a accepté un cessez-le-feu et proposé qu’on envoie des observateurs internationaux. Les observateurs n’ont pas été envoyés et on a dit que Kadhafi ne respectait pas le cessez-le-feu. L’Occident a aussi rejeté la proposition de médiation de Chavez, pourtant suivie par de nombreux pays latinos ainsi que l'Organisation de l'Unité Africaine.
A ce sujet, je suis furieux quand j’entends, en Europe, des gens de gauche dénoncer l’horrible Alliance Bolivarienne qui soutient le dictateur Kadhafi. Ces gens n’ont rien compris ! Les dirigeants latinos sont des personnes au pouvoir avec d’importantes responsabilités. Ce ne sont pas des petits gauchistes qui bavardent dans leur coin. Et le grand problème de ces dirigeants, c’est l’ingérence des Etats-Unis : moins les Etats-Unis pourront faire ce qu’ils veulent partout dans le monde, mieux ça vaudra pour tous ces pays qui tentent de s’émanciper de leur tutelle et pour le monde entier.


Le fait de rejeter systématiquement les solutions pacifiques signifie-t-il que l’ingérence humanitaire est un prétexte ?
Oui, mais si ça fonctionne bien auprès des intellectuels, j’ai plus de doute sur la réaction des peuples européens. Vont-ils soutenir leurs dirigeants dans l’attaque contre Kadhafi ? Au niveau des peuples, ce sont les guerres sécuritaires qui trouvent plus de légitimité : lorsqu’il y a, par exemple, une menace contre nos populations, nos modes de vie, etc. Mais ici et en France, avec tout le climat islamophobe (que je n'approuve pas, mais qui existe), allez expliquer qu’on va se battre en Cyrénaïque pour des insurgés qu’on voit crier « Allah U Akbar »… C’est contradictoire !
Au niveau politique, la plupart des partis soutiennent l’intervention, même à gauche. Les plus modérés soutenaient juste l’application d’une zone d’interdiction aérienne mais si Kadhafi envoie ses tanks vers Benghazi, qu’est-ce qu’on fait ? Durant la Deuxième Guerre mondiale, les Allemands ont perdu le contrôle aérien assez rapidement mais ils ont tenu encore plusieurs années. Les modérés devaient bien se douter que, dans la mesure où l’objectif est de renverser Kadhafi, on irait plus loin que l’établissement d’une zone d’interdiction aérienne.
La gauche, incapable de soutenir de vraies positions alternatives, se trouve piégée par la logique de l’ingérence humanitaire et est obligée de soutenir Sarkozy. Si la guerre se passe vite et bien, le président français sera sans doute bien positionné pour 2012 et la gauche lui aura mis le pied à l’étrier. Cette gauche n’assumant pas un discours cohérent opposé aux guerres est obligée de se mettre à la remorque de la politique d’ingérence.


Et si la guerre se passe mal ?
C’est malheureux, mais le seul parti français à s’être opposé à l’intervention en Libye du point de vue des intérêts français est le Front National. Il a notamment évoqué la menace des flux migratoires et en a profité pour se démarquer de l’UMP et du PS en disant qu’il n’avait jamais collaboré avec Kadhafi. Si la guerre en Libye ne se passe pas comme prévu, ça pourra bénéficier au Front National pour 2012.


Si l’ingérence humanitaire n’est qu’un prétexte, quel est l’objectif de cette guerre ?
Les révolutions arabes ont surpris les Occidentaux qui n’étaient pas assez bien informés sur ce qui se passait au Maghreb et au Moyen-Orient. Je ne conteste pas qu’il y a de bons spécialistes de la question mais souvent, ils ne sont pas assez écoutés à un certain niveau de pouvoir et s’en plaignent d’ailleurs. Donc maintenant, les nouveaux gouvernements égyptien et tunisien risquent de ne plus s’aligner sur les intérêts occidentaux et par conséquent, pourraient être hostiles à Israël.
Pour s’assurer le contrôle de la région et protéger Tel-Aviv, les Occidentaux veulent probablement se débarrasser des gouvernements déjà hostiles à Israël et aux Occidentaux. Les trois principaux sont l’Iran, la Syrie et la Libye. Cette dernière étant la plus faible, on l’attaque. 


Ca peut fonctionner ?
L’Occident rêvait de dominer le monde mais on voit depuis 2003, avec le fiasco irakien, qu’il en est incapable. Avant, les Etats-Unis pouvaient se permettre de renverser des dirigeants qu’ils avaient eux-mêmes portés au pouvoir, comme Ngô Dinh Diêm au Sud-Viêtnam dans les années 60. Mais Washington n’a plus la possibilité de faire ça aujourd’hui. Au Kosovo, les Etats-Unis et l'Europe doivent composer avec un régime mafieux. En Afghanistan, tout le monde dit que Karzaï est corrompu mais ils n’ont pas d'alternative. En Irak, ils doivent aussi s’accommoder d’un gouvernement qui est loin de leur convenir totalement.
Le problème se posera certainement en Libye aussi. Un Irakien me disait un jour : « Dans cette partie du monde, il n’y a pas de libéraux au sens occidental du terme, hormis quelques intellectuels assez isolés. ». Comme l’Occident ne peut pas s’appuyer sur des dirigeants qui partagent ses idées et défendent totalement ses intérêts, il essaie d’imposer des dictateurs par la force. Mais ça crée évidemment un décalage avec les aspirations de la base populaire.
De plus, cette démarche se révèle être un échec et les gens ne devraient pas être dupes sur ce qui se passe. L’Occident, qui pensait pouvoir contrôler le monde arabe avec des marionnettes comme Ben Ali et Moubarak, se dirait soudainement : « On a eu tout faux, maintenant on va soutenir la démocratie en Tunisie, en Egypte et en Libye. » ? C’est d’autant plus absurde que l’une des grandes revendications des révolutions arabes est le droit à la souveraineté. Autrement dit, pas d’ingérence !
L’Occident doit se résigner : le monde arabe, tout comme l’Afrique et les Caraïbes, ne lui appartient pas. En fait, les régions où l’Occident s’ingère le plus sont les moins développées. Si on respecte leur souveraineté, ces régions pourront se développer, tout comme l’Asie l'a fait et l’Amérique latine le fera sans doute. La politique d’ingérence est un échec pour tout le monde.


Quelle alternative alors ?
Tout d’abord, il faut savoir que la politique d’ingérence nécessite un budget militaire important. Sans le soutien des Etats-Unis et leur budget militaire délirant, la France et la Grande-Bretagne ne se seraient pas engagées. La Belgique encore moins. Mais tous ces moyens mis à disposition ne tombent pas du ciel. Ce budget est basé sur des emprunts à la Chine qui entraînent des déficits US et toutes sortes de problèmes économiques. On y pense rarement.
De plus, on nous répète tout le temps qu’il n’y a pas d’argent pour l’éducation, la recherche, les pensions, etc. Et subitement, il y a une grosse somme qui tombe pour faire la guerre en Libye. C’est une somme illimitée car on ne sait pas combien de temps cette guerre va durer ! On dépense par ailleurs déjà de l’argent en pure perte en Afghanistan.

Il faut donc avoir une autre vision politique et la Suisse est, selon moi, un bon exemple. Ce pays consacre son budget militaire uniquement à la protection de son territoire. Les Suisses ont une politique de non-intervention cohérente car leur armée ne peut pas, par principe, quitter le territoire. On peut dire que la Suisse laisse Kadhafi massacrer les insurgés mais premièrement, elle n’a jamais commis de génocide ou d’autres massacres, même si on peut critiquer sa politique sur d'autres plans (banques ou immigration). Et deuxièmement, si tout le monde faisait comme la Suisse, pour les raisons que j’ai expliquées précédemment, le monde irait beaucoup mieux.

Les guerres et les embargos ont toujours des conséquences désastreuses. Selon moi, la meilleure alternative est la coopération avec les différents pays, quels que soient leurs régimes. A travers le commerce, mais pas celui des armes évidemment, les idées circulent et les choses peuvent évoluer, sans guerre. On peut bien-sûr discuter des modalités : commerce équitable, écologique, etc. Mais le commerce est une alternative beaucoup moins sanglante aux sanctions et aux embargos qui sont la version soft des guerres humanitaires.


Interview : Grégoire Lalieu





 

Hosni Moubarak et ses proches en résidence surveillée


L'ancien président égyptien Hosni Moubarak et sa proche famille sont en résidence surveillée en Egypte, a affirmé, lundi 28 mars, l'armée égyptienne. Les autorités égyptiennes ont annoncé ces dernières semaines que les Moubarak avaient interdiction de quitter le pays, et que leurs avoirs en Egypte étaient gelés.
Démentant des informations, le Conseil suprême des forces armées (CSFA), l'instance qui dirige le pays, a assuré que l'ancien président et ses proches "sont en résidence surveillée à l'intérieur de l'Egypte", sans mentionner d'endroit précis. "Les informations qui ont circulé sur son départ pour Tabouk (Arabie saoudite, NDLR) sont erronées", explique un communiqué, en référence à une rumeur persistante selon laquelle il serait parti en Arabie saoudite pour un traitement médical.

Les autorités ont indiqué à plusieurs reprises depuis la chute de l'ancien président qu'il était parti à Charm el-Cheikh, une station balnéaire égyptienne sur la mer Rouge, où il dispose d'une résidence. Son épouse, Suzanne, leurs deux fils Alaa et Gamal ainsi que les épouses de ces derniers sont supposés être avec lui, mais aucun d'entre eux ne s'est exprimé ni montré en public depuis la chute du raïs, lui aussi invisible.

ÉLECTIONS LÉGISLATIVES EN SEPTEMBRE

Les premières élections législatives depuis la chute de Hosni Moubarak se tiendront elles en septembre, a également annoncé le général Mamdouh Chahine, membre du CSFA. La date de l'élection présidentielle en revanche "n'est pas définie. Nous devons tenir les législatives et quand cela sera fait nous annoncerons la présidentielle", a-t-il déclaré.

Le CSFA assure la direction du pays depuis la démission, le 11 février dernier, du président Moubarak sous la pression de la rue. Après son départ, l'armée avait donné un calendrier indicatif de six mois pour organiser des législatives et une présidentielle en vue d'un retour à un pouvoir civil. Ce délai avait toutefois été jugé par de nombreuses personnalités comme trop court pour assurer une véritable transition démocratique.

Les dernières élections législatives se sont tenues en novembre et décembre 2010. Elles s'étaient traduites par une victoire écrasante du parti de M. Moubarak, mais les plus importants mouvements d'opposition s'en étaient retirés, dénonçant une fraude massive. Le Parlement a été dissous dans la foulée du départ de M. Moubarak.

LEVÉE DE L'ÉTAT D'URGENCE EN VUE

En vue des élections, l'armée a promulgué, lundi, une version amendée de la loi sur les partis. La nouvelle législation remplace la Commission des partis – dominée par l'ancienne formation au pouvoir, le Parti national démocrate (PND) –, qui n'approuvait que rarement la formation d'un nouveau parti, par un groupe de juges.

L'interdiction des partis "fondés sur la religion" est toutefois maintenue. Elle ne devrait pas empêcher les Frères musulmans de former le leur, comme ils ont déclaré vouloir le faire. Ils devraient simplement s'abstenir de mentionner la religion dans ses statuts.

Le Conseil a enfin déclaré que les prochaines élections "ne se tiendraient pas sous l'état d'urgence", laissant entendre que ce dispositif maintenu tout au long de la présidence de M. Moubarak serait levé d'ici septembre. La loi sur l'état d'urgence a été décrétée après l'assassinat du président Anouar al-Sadate, en 1981, par des islamistes, et constamment reconduit par son successeur.

Cette législation donne notamment des pouvoirs élargis à la police en matière d'arrestation et de détention, et permet le renvoi devant des tribunaux d'exception. Elle est régulièrement critiquée par les défenseurs des droits de l'homme, l'opposition égyptienne et des capitales occidentales. La révision de la Constitution adoptée par référendum le 19 mars permet d'en limiter l'application à une période de six mois, et soumet son renouvellement à référendum.





samedi 26 mars 2011

Egypte, une dictature démocratique ?

Après 18 jours d’une mobilisation acharnée, l’Egypte a renversé Hosni Moubarak, au pouvoir depuis 1981. Le 11 février, Moubarak quitte la capitale et démissionne, donnant autorité à l’armée pour gérer les affaires du pays. Comme en Tunisie, la révolution est née de la convergence du mouvement pour les droits des travailleurs dans les villes manufacturières et du mouvement contre la brutalité policière. La jeunesse y représente un acteur radicalement nouveau, né sur les réseaux sociaux et dépositaire d’une ligne progressiste, attachée aux droits fondamentaux, aux devises modernes (« dignité », « travail »), mais aussi ouvert aux différentes tendances laïques et religieuses. 

Où en est-on ?
Appelés à se prononcer par référendum le 20 mars, les Egyptiens ont approuvé à 77 % la réforme constitutionnelle proposée par le Conseil des forces armées au pouvoir depuis la chute de Moubarak. Le texte doit faciliter la transition vers un gouvernement civil, après la tenue d'élections législatives et présidentielle dans un délai indicatif de 6 mois. Les amendements approuvés limiteront notamment le mandat présidentiel à deux mandats de quatre ans. Même si une partie de l’opinion publique est hantée par le spectre d’un coup d’Etat des forces armées, actuellement c’est un gouvernement civil qui s’annonce. Stratégiquement, se faire le garant des acquis de la place Tahrir est dans l’intérêt de l’armée, qui - forte d’une bonne réputation auprès du peuple égyptien - vise, avant tout, à protéger ses privilèges, notamment économiques. Les militaires jouissent aussi de l’appui des Etats-Unis et d’Israël.

Tous les nouveaux acteurs politiques en Egypte ne sont pourtant pas d'accord sur le principe de la révision constitutionnelle. Ceux qui sont favorables à une transition rapide, avec des changements limités de la Constitution (comme les Frères Musulmans) se sont opposés à ceux qui plaident pour une Constitution complètement nouvelle (comme l’opposant Mohamed ElBaradei), quitte à prendre plus de temps.

Le parti des Frères Musulmans, tant redouté par l’Occident, est en réalité interdit, mais assez toléré en Egypte. Malgré leur conservatisme moral et culturel, ils sont désormais favorables au pluralisme politique et à la participation des femmes à la vie politique. Il est quand même évident que le référendum du 20 mars leur a donné l’occasion de se mobiliser et de démontrer leur force.

Il est vraisemblable que toute dérive islamique ou manœuvre de séduction populaire pour s’emparer du pouvoir serait contrée par le peuple, qui a déjà connu et rejeté le régime dictatorial de Moubarak. Pourtant, la crainte du risque de la montée en puissance des islamistes ou de la régression dans de nouvelles formes de militarisme ou de tribalisme reste pourtant légitime.

Le 3 mars, Essam Charaf a été nommé Premier ministre par l'armée, en remplacement d'Ahmed Chafik, qui avait été désigné par le président déchu Hosni Moubarak. La nomination de Charaf est destinée à calmer les manifestants, qui ont continué à se rassembler place Tahrir pour exiger que le gouvernement soit purgé des éléments de l'ancien régime.



samedi 19 mars 2011

Egypte : Un referendum problematique

 
L’amendement de 8 articles suscite beaucoup de débats, voire une certaine confusion chez le citoyen qui, jusqu’à présent, n’arrive pas à fixer son choix. Etat des lieux.

Trois jours seulement nous séparent du référendum sur les amendements de 8 articles de la Constitution. Ce référendum, déjà prévu le 19 mars par le Conseil suprême des forces armées qui dirige le pays depuis la chute de l’ancien régime, a pour but de satisfaire rapidement les demandes des jeunes de la révolution. Pourtant, une forte opposition à ce référendum surgit actuellement non seulement chez les jeunes, mais aussi chez les experts constitutionnels et au sein des partis politiques. Dans les programmes télévisés, les journaux, et même dans la rue, tout le monde parle de ce référendum à l’origine d’une grande indécision. Les Egyptiens sont divisés en deux groupes, pour et contre le référendum. Pour ceux qui sont contre, ils sont divisés en deux camps. Le premier pense que malgré les changements de certains articles, il reste toujours des lacunes. Par exemple, l’amendement ne limite pas les pouvoirs du président de la République, ce qui va mener à une nouvelle dictature. D’autres estiment que la Constitution objet de réforme est à la base invalide et par conséquent, tout changement apporté à cette Constitution ne serait pas légal. Un troisième groupe, plutôt optimiste, pense qu’il faut accepter ces changements étant donné que le pays est en période de transition et que le nouveau président élu, lui, sera chargé de fonder une nouvelle Constitution. 

Entre le oui et le non, le simple citoyen est perdu. Mais la seule chose dont il est sûr c’est que pour la première fois depuis 30 ans, il pourra voter sans que sa voix soit falsifiée. Ce qui bouleverse les simples citoyens c’est que chacun de ces groupes inclut de grands noms, des experts dans le domaine juridique et constitutionnel. « Il n’y a rien à dire à propos de ce référendum. Cette Constitution a perdu sa légitimité depuis la révolution. Il faut une nouvelle Constitution », explique Ibrahim Darwich, expert constitutionnel et membre du comité formé par l’ex-président, quelques jours avant son départ, pour amender la Constitution. Darwich a été écarté par le Conseil suprême des forces armées lors de la deuxième commission formée à cet effet. Celle-ci a été formée juste après le départ de Moubarak. Darwich explique que si on considère que la Constitution n’est pas tombée, on doit considérer que l’ancien régime n’est pas tombé non plus. Et par conséquent, le Conseil suprême des forces armées n’a pas de légitimité. « Cela d’après un point de vue constitutionnel et politique et non pas juridique, car la Constitution est un document politique. Et je suis parmi la minorité en Egypte qui a fait des études politiques et juridiques », affirme Darwich. 
 
Il propose qu’en guise de solution soit formée une commission pour élaborer une nouvelle Constitution, et aussi prolonger la période où le Conseil suprême des forces armées est chargé de gérer les affaires du pays. « Cette solution est un peu difficile, et ce n’est pas la responsabilité normale de l’armée, mais nous avons fait une révolution, nous avons perdu des centaines de martyrs et nous avons souffert pendant 30 ans. Donc, il ne faut pas aller trop vite », dit de son côté Samiha Al-Diyassri, vice-présidente du Parquet administratif. D’après Al-Diyassri, il n’est pas acceptable de rafistoler la Constitution, ce qui donne la chance à un retour à la vie politique sous Moubarak. La création d’une nouvelle Constitution est aussi le désir des auteurs de la révolution, qui ont déclaré dans un communiqué leur refus de ces amendements et ont exigé une grande manifestation (millioniènne) à la place Tahrir vendredi prochain, la veille de la date prévue du référendum, pour appuyer leur demande. La même attitude a été prise aussi par plusieurs partis, dont le néo-Wafd, le Rassemblement et le Parti nassérien ainsi que le Comité national du changement dirigé par Mohamad ElBaradei. Même Amr Moussa, un des candidats à la présidence, a demandé de boycotter le référendum.

La Constitution, une longue histoire 

La première Constitution égyptienne a été adoptée en 1882, à l’époque du khédive Tewfiq, et a été annulée lors de l’occupation britannique de l’Egypte. Ensuite, une autre Constitution a été adoptée en 1923 après la révolution de 1919 et une troisième en 1930, la pire dans l’histoire égyptienne. En 1932, la Constitution de 1923 est revenue et a été maintenue jusqu’à la révolution de 1952. Cette dernière a formé une commission pour faire une nouvelle Constitution qui a été adoptée en 1956. Ensuite, une autre Constitution a été établie après l’union avec la Syrie en 1958 et elle a été suspendue en 1964. Et le 11 septembre 1971, la Constitution actuelle a été adoptée et a subi plusieurs amendements dans les années 1980, 2005, et 2007 (lire page 5). Mais tous ces amendements ne faisaient en réalité qu’étrangler l’espace de liberté et diminuer la possibilité de la concurrence honnête aux élections présidentielles en faveur d’une minorité. 

Un point de vue plus équilibré
 
Mais la création d’une nouvelle Constitution n’est pas le but de tous les opposants. Certains d’entre eux trouvent qu’il faut simplement éclaircir certains articles et en ajouter d’autres. « Je trouve que les critères de candidature d’un député sont beaucoup plus durs et clairs que ceux du président de la République », lance Amr Hachem, chercheur au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram. Il trouve que les conditions de candidature à l’élection présidentielle ne sont pas suffisantes. Elles ne requièrent pas par exemple un diplôme universitaire pour le candidat à la présidence et l’accomplissement du service militaire. Alors que pour un député, ces conditions sont obligatoires. « Ainsi, n’importe qui peut se présenter aux élections présidentielles et ce sera le chaos », ajoute Hachem. Il trouve aussi que l’article 76 ne permet pas l’égalité des chances entre les candidats à la présidence. Pourquoi ? « Parce que cet amendement permet aux candidats de se présenter à travers trois options qui ne sont pas égales ». 

La première option est de recueillir les 30 signatures de députés et de membres du Conseil consultatif « sans préciser que chaque député doit signer pour un seul candidat. Il faudrait indiquer que le député qui va soutenir plusieurs candidats sera sanctionné ». La deuxième option est de recueillir la signature de 30 000 personnes qui ont le droit de voter dans 15 gouvernorats différents, dont au moins 1 000 signatures pour chaque gouvernorat. « La troisième option est la pire, c’est de se présenter à travers un parti qui est représenté au Parlement ou au Conseil consultatif par un seul député. Comment mettre sur un pied d’égalité un candidat qui a fait le tour des gouvernorats et les partis politiques qui n’ont qu’un seul député ? Il faut rappeler que parmi les buts de la révolution figure l’égalité », explique Amr Hachem. L’amendement émet la condition que le futur président soit marié à une Egyptienne et qu’il ne soit pas porteur d’une autre nationalité que l’égyptienne. Or, là aussi il y a des critiques. Certains pensent que ces conditions réduisent les chances d’accès à la présidence d’une personnalité de la qualité d’Ahmad Zoweil. 

C’est vrai que parmi les points contestés certains ont leur logique. D’autres sont dus au manque de confiance qui a été créé au cours des 30 dernières années. Mais personne n’est prêt à prendre le risque d’élaborer un article qui pourrait mener à l’avenir à une nouvelle dictature en Egypte. « C’est un problème de manque de confiance entre le peuple et l’Etat, même si celui-ci est représenté par le Conseil suprême des forces armées, et je trouve que ces soupçons sont justifiés », explique Yousri Al-Azabawi, chercheur au CEPS d’Al-Ahram. Il trouve que le but essentiel en ce moment c’est d’élire un président pour diriger le pays et recevoir le pouvoir des mains de l’armée, afin que cette dernière puisse jouer son rôle principal, surtout face aux conflits dans la région. 

Il est à noter que l’armée, dès le premier jour, a annoncé qu’elle n’allait pas présenter un candidat à l’élection présidentielle et qu’elle ne cherchait qu’à transmettre le pouvoir le plus vite possible à une autorité civile, car ce qu’elle fait maintenant dans le pays n’est pas son rôle, et elle a des difficultés à le faire. « Il faut surveiller la sécurité du pays, surtout qu’on a presque 40 millions de personnes qui ont le droit de voter et il faut les sécuriser. On veut diminuer les dégâts de la révolution au niveau économique, donc, il faut que le cycle du travail reprenne », pense Al-Azabawi. Il répond à ceux qui disent que la Constitution peut être changée en un mois, surtout qu’il existe des Constitutions déjà prêtes. « On en a assez d’importer des modèles prêts qui ne conviennent pas à notre culture et à notre religion. Pourquoi se précipiter ? Nous voulons que le pays se relève pour cueillir les fruits de cette révolution intègre ». 

Sobhi Saleh, un des membres de la commission d’amendement de la Constitution, se défend. « Nous sommes 85 millions d’Egyptiens. Il est impossible de mettre tout le monde d’accord sur un point. Puisque personne n’a protesté lors de la formation de la commission par le Conseil suprême des forces armées, cela veut dire que les gens font confiance aux membres de la commission. Pourquoi donc tout ce bruit autour des articles juridiques et constitutionnels ? Mais on peut plutôt discuter des articles et des conditions qu’on peut ajouter », affirme Saleh. Et d’ajouter que la Constitution n’est pas tombée, car l’armée a reçu le pouvoir suite à une proclamation constitutionnelle publiée le 13 février dans le journal officiel. Car, après la chute de Moubarak, la Constitution a été suspendue et elle n’est pas tombée.

Les experts qui soutiennent ce référendum demandent à élargir la vision en ce qui concerne l’article 75, qui exige que le candidat à la présidence soit né de parents égyptiens, marié à une Egyptienne et ne porte pas d’autre nationalité. Ce groupe avoue que cet article empêchera des personnalités brillantes de se présenter, mais d’un autre côté empêchera les Egyptiens qui se sont mariés à des Israéliennes de se porter candidats. C’est peut-être un point de vue à respecter, surtout que Ahmad Zoweil a déjà déclaré qu’il aimait son pays et qu’il était disposé à le servir de n’importe quel poste et même sans poste. 
 
Quant aux protestations contre l’absence d’égalité dans les facilités données aux candidats dans l’article 76, « les gens disent qu’il n’y a pas de comparaison entre un candidat qui fait le tour des gouvernorats et un candidat issu d’un parti représenté par un seul député au Parlement. Or, si on admet que le candidat issu d’un parti représente sa circonscription, cela veut dire qu’il a obtenu au moins 20 000 voix parmi l’électorat de sa circonscription. Et là, on peut parler d’égalité », explique Sobhi. Et d’ajouter qu’en ce qui concerne les gens qui demandent à ce que le vice-président soit élu, la commission a trouvé que dans ce cas de figure, le pouvoir du vice-président sera équivalent à celui du président, en considérant que les deux sont arrivés à leur poste par voie électorale et qu’ils reçoivent leur légitimité du peuple. « Ils seront ainsi en tête-à-tête et peut-être qu’ils ne pourront pas travailler ensemble », explique Saleh. 

Que faire ?
 
Maher Sami, vice-président de la Cour constitutionnelle et membre de la commission d’élaboration de la Constitution, affirme qu’il désire personnellement que le référendum porte sur chaque article à part et non pas sur l’ensemble de l’amendement. Le général Mamdouh Chahine, membre du Conseil suprême des forces armées, trouve cette proposition impossible car, d’après lui, « il faudra dans ce cas simplifier chaque article de l’amendement face à l’analphabétisme de plus de 17 millions d’Egyptiens ».
 
Situation complexe donc. Chacun a son point de vue et le citoyen ordinaire paraît confus et pourrait finalement boycotter le référendum pour en finir. Le message médiatique n’en parvient pas. Tout le monde parle des tribunaux, des articles et de la Constitution. Ce débat porte sur 8 articles seulement, alors qu’en serait-il pour toute une nouvelle Constitution ? Pourquoi ce manque de confiance alors que l’armée fait tout ce qu’elle peut pour répondre aux demandes du peuple. Il ne faut pas ignorer que pour la première fois, les Egyptiens pourront voter librement loin de la fraude.


Chérine Abdel-Azim